The color of truth is gray - Nathim

Pendant des années il avait attendu Halloween avec impatience, passé des jours à réfléchir au costume qu'il allait porter et le réaliser, et toujours trouvé un moyen de s'amuser, de profiter de ces quelques heures de liberté, parce que c'était un soir spécial. Pas cette année. Pas l'envie, et pour quoi faire de toute façon. Non, il regardait juste les jours sur le calendrier passer, s'approcher de la date fatidique, sans même avoir envie de prendre part aux célébrations cette année. Plus que quatre. À la place il préférait se concentrer sur les plans étalés sur le sol de la bibliothèque chez ses parents, où il avait fini par se réfugier de plus en plus, ne supportant plus son appartement, les souvenirs qui allaient avec. Pas mieux dans la maison de son adolescence, pas qu'il s'y sentait plus en sécurité ou que la douleur dans son cœur était moindre, mais au moins ça n'était son appartement. Au moins il ne serait pas cherché ici tout de suite si jamais quelque chose dérapait, là où il y avait encore quelque chose qui le rattachait au monde physique.

Projeté depuis le début de la matinée, sans aucune envie de revenir dans son corps, sans même chercher à le faire, il avait préféré réfléchir sous cette forme à de nouvelles possibilités, de nouvelles façons de faire, de nouvelles approches, ne risquant pas une projection surprise quand il réaliserait qu'une nouvelle fois il allait droit dans le mur, que l'issue qu'il espérait trouver n'existait pas. Flotter au dessus des feuilles sur le tapis, de celles qui couvraient le piano paternel, s'arrêter pour fixer un instant une photo sur le mur en sentant le serrement là où se trouvait habituellement son cœur, et reprendre ses tentatives pour trouver une solution qui ne les mènerait pas tous à leur mort, que ça soit le jour-même ou plus tard. Un mois qu'il essayait, sans succès, pas pour autant qu'il allait s'arrêter. Trop à prendre en compte, à conjecturer, alors qu'il traversait son propre corps pour étudier de plus près un détail sur un plan, rajouté la semaine passée.

Le bruit de la sonnette qui lui avait fait lever la tête d'un coup avant de se transporter presque immédiatement à la porte, parfaitement invisible, pour tomber sur Nate. Déjà? Il ne devait pas arriver avant plusieurs heures, ou alors elles étaient déjà passées et il ne s'en était pas rendu compte. Plus probable. C'est ouvert, jte rejoins dans la cuisine. Pas besoin de lui montrer le chemin, pas la première fois qu'il venait, et s'attarder un peu le temps que l'homme referme la porte derrière lui. Il doit rester de l'eau dans la bouilloire, si jamais tu veux te faire un thé. Et il était reparti dans la seule pièce qu'il avait expressément mis hors limites pour son mentor la première fois qu'il lui avait fait visiter la maison familiale, pour revenir au plan physique. Passer quelque chose pour couvrir ses bras aussi, et cacher la cicatrice qui ornait son biceps gauche, alors qu'il flottait au dessus de son corps pour y retourner. Se concentrer... Et échouer, une fois, deux fois...

Il aurait voulu prendre une grande inspiration pour se calmer, comme il arrivait un peu à le faire de l'autre côté quand les angoisses les plus légères l'assaillaient, même si plus difficilement depuis qu'il était retourné dans la prison, mais ça n'était pas possible. Pas de poumons, pas de corps pour en avoir. Fait chier! Le passage par la fenêtre, et au travers du piano, pour observer un instant l'extérieur, juste par habitude. Parce qu'on ne savait pas ce qui pouvait se cacher dans un buisson, ou dans la voiture de l'autre côté de la rue. Se retourner et fixer son corps par terre. Il avait presque l'air de s'être endormi en plein boulot, le marqueur encore dans la main alors que son visage reposait sur le tapis. S'en approcher à nouveau, et se concentrer. Revenir au plan physique, revenir dans son corps, revenir... À quoi déjà? La douleur, pas juste physique, la honte, la colère, rien qui lui donnait envie de les retrouver. L'homme qui frappait à la porte? Plus de secrets, de non-dits, de sujets soigneusement évités, une nouvelle façade à monter, y compris avec celui en qui il avait le plus confiance.

Non, le trou ça faisait un moment déjà qu'il était tombé dedans, en étaient témoins les petits cercles plus sombres à la pliure de son coude gauche. Le mime de soupir qu'il avait eu alors que l'autre finissait de ricaner pour enchaîner. Et il allait faire quoi exactement? Danser en cercle autour de son corps en faisant des invocations à il ne savait quoi pour forcer son esprit à l'intérieur? Si seulement c'était possible, mais non, il n'y avait que lui pour décider quand il reviendrait, et il avait de moins en moins de raisons de le faire ces derniers temps. Un dernier regard sur son corps avant de passer à travers la porte, pour regarder son ami. L'état dans lequel il était, la fatigue qu'il lisait sur son visage, dans son allure générale, l'autre truc dans ses yeux, les cernes qui le soulignait. T'as une sale gueule, et c'est moi qui parle... Même s'il allait mieux de ce côté, retrouvant un poids décent et des muscles sous la houlette de son mentor, les cernes toujours présentes, juste un peu moins qu'avant. Peut-être parce qu'il supportait mieux le contre-coup de son pouvoir, ou s'y était un peu habitué.

Accroupi en face de l'homme, il avait fait l'effort de concentration pour apparaître, lui décrochant un sourire. Tu sais que ya des fauteuils et des canapés nettement plus confortables dans cette baraque? Au moins l'aspect de son corps astral n'avait pas changé, toujours semblable à ce qu'il avait été juste avant l'apparition de ses pouvoirs, aucune trace de la réalité ne transparaissant sur ce plan. Heureusement, c'était comme ça qu'il avait pu cacher certaines choses à Nathaniel, qu'il le faisait encore aujourd'hui avec sa peau astrale parfaitement lisse et unie sous son débardeur usé par les années. Puis pas besoin que jme fasse chier à retourner dans mon corps, on peut bosser tout ce qui est son et apparition aujourd'hui non? Peut-être que plus tard il arriverait mieux, mais n'importe quelle raison pour que Nate s'éloigne de cette porte, et de la réalité qui se trouvait de l'autre côté, celle à laquelle il n'avait aucune envie de revenir, mieux c'était.