You can't always get what you want (ft Lily)

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Les nuits étaient tranquilles depuis que Seth les passait chez Lily. Il ne restait jamais plus de trois ou quatre, histoire de ne pas la faire pêter un cable. Il pouvait être con, et il avait une horrible tendance à se croire tout permis à partir du moment où on lui en laissait la possibilité, mais les quelques neurones encore actifs qu'il possédait lui permettait parfois de se fixer des limites. Ces dernières semaines avaient été assez rudes, et il manquait de sommeil. Il n'avait évidemment pas craché sur le canapé si gentiment offert par la jolie métisse. Même si le canapé grinçait un peu, même s'il était trop petit pour lui et que ses pieds dépassaient soit par dessus l'accoudoir, soit en diagonale. Une fois accommodé à l'inconfort superficiel de la chose, il avait roupillé comme jamais. C'était toujours mieux que les squats humides auxquels il s'était habitué. Il pouvait bien se choper des torticolis si ça lui évitait d'attraper une pneumonie, hin. Ou pire, à vrai dire, vu l'état des endroits. Y'en avait des seringues, parfois...
Il savait pas exactement l'heure qu'il était quand il ouvrit les yeux. Tard ou tôt selon les points de vue. Il faisait encore nuit, mais quelque chose lui disait que le soleil allait pas tarder à pointer le bout de son nez. Seth avait une bonne horloge interne. Il se frotta les yeux pour se départir des dernières brides de sommeil. A force de toujours flipper pour rien, il avait tendance à se réveiller direct. Il se rappelait qu'avant, ça pouvait lui prendre des heures pour sortir du lit. Plus maintenant. Le mutant se releva, bien qu'esquissant un bâillement. Il s'était réveillé à cause d'un bruit dans la cuisine. La lumière était allumée. Il savait de qui il s'agissait. Y'en avait qu'une ici pour rentrer à l'heure des poubelles. Si l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, alors Lily battait tout le monde haut la main. Même si Seth savait pas trop si ça comptait, vu que techniquement, elle allait se coucher.
Avec un léger grognement, il se leva, pied nus, et alla se poser contre l'encadrement de la porte. Peut-être qu'elle l'avait pas entendu ? Elle avait l'air de se chercher un truc à manger. Seth avait plusieurs fois proposé ses services de ce côté là, mais en matière de cuisine si on ne voulait pas mourir d'une intoxication alimentaire, mieux valait éviter de lui confier les fourneaux. Donc il avait fait une fois ou deux des pâtes, sans rencontrer le succès qu'il méritait, et ça s'était terminé là (en vrai, il devait bien avoué que mettre le feu à des spaghettis n'était pas un mode de cuisson très approprié si on les voulait al dente). " 'jour." Il murmura malgré lui, dans le silence de l'appartement. " Il reste de la pizza dans le frigo. Si jamais." Elle était froide, mais comme avait dit un vieux sage : on peut pas tout avoir dans la vie.

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You can't always get what you want

Il y a la lassitude qui lui colle aux os, le froid qui s’infiltre à travers ses bas déchirés, ses chevilles, malmenées par ses talons hauts, qui crient grâce, son sac qui pèse sur ses épaules et la fait pencher d’un côté, comme une marionnette sans fils. La nuit a été longue, peuplée d’hommes aux sourires tranchants et aux poches pleines, de genoux pointus qui lui rentraient dans les fesses et de mains qui se baladaient impunément au creux de ses reins. Les nuits d’avant ont été les mêmes et celles d’après promettaient aussi peu de surprises. Depuis la mise en place du couvre-feu, elles se ressemblaient toutes, beaucoup d’efforts, beaucoup de caresses et de cajoleries pour rassurer les clients les plus frileux, mais les langues peinaient à se délier et Lily commençait à bouillir secrètement.
Quelle bande de lâches.
Quelle belle brochette de lâches.

Elle continue de pester entre ses dents tandis qu’elle escalade l’escalier de son immeuble, marche après marche. Dehors, les premiers rayons du soleil percent le ciel et Lily, telle une Cendrillon peu conventionnelle, se défait de ses atours d’un étage à l’autre, trop impatiente de retrouver son lit. Du bout des doigts, elle essuie les traces de mascara sous ses yeux, histoire d’être présentable, de n’alarmer personne, avant de glisser la clé dans la serrure. Lorsqu’elle pénètre enfin à l’intérieur de l’appartement, elle doit se retenir de pousser un soupir de soulagement et seule la vue des pieds de Seth qui dépassent du canapé l’empêche d’envoyer valser ses chaussures, véritables instruments de torture, contre le mur. Malgré elle, elle sent les coins de sa bouche remonter. Il n’est pas souvent là, Seth, et quand il est là, il prend de la place, mais Lily se surprend à l’inclure dans sa routine avec un naturel désarmant, comme s’il faisait partie du décor. (( De la famille. )) Elle bougonne, elle râle, elle proteste. Elle fait semblant d'éternuer puis minaude en se tortillant une mèche de cheveux pour qu’il se presse de faire le ménage et pense que l’idée vient de lui. Elle lui jette le programme du ciné au visage avec un demi-sourire entendu et si elle essaie de ne pas trop lui poser de questions sur sa mère, sur son boulot, sur les nuits qu’ils ne passent pas chez elle, en dépit de sa curiosité, c’est pour ne pas le faire fuir trop vite, parce qu’elle préfère le savoir ici plutôt qu’ailleurs.

Lily se faufile jusqu’à la cuisine, non sans avoir enfilé de nouveau son alliance, le ventre qui crie famine et qui lui ferait presque oublier sa fatigue. La tête dans le frigo, un 'jour mal articulé la fait se retourner. C’est Seth, les pieds nus, l’air à peine réveillé, indolent, nonchalant, flegmatique, comme un chat sauvage. « Non, dit-elle en guise de bonjour. Tu es banni. » Le doigt en l’air qui se veut menaçant, elle répète, impitoyable : « Banni ! Recule ! Hors de ma cuisine, espèce de danger public ! » Et elle ricane, stupidement fière de sa petite pique. « Tu as mis le feu à des pâtes. Comment t’as fait ? poursuit-elle pour faire bonne mesure. » Faudrait pas qu’il puisse prétendre que ça n’est jamais arrivé.
Des pâtes, marmonne-t-elle encore en fouillant distraitement dans les entrailles du réfrigérateur, à la recherche des dernières parts de pizza, rescapées inespérées de l’appétit d’un jeune homme à l’énergie dévorante. Par-dessus son épaule, elle lance : « Je ne t’ai pas réveillé, j’espère ? Je ne sais pas quelle heure il est, mais il doit être tôt. Tu travailles aujourd’hui ? »
La voix se fait volatile, légère, et pour le distraire, esquiver les reproches, la mine offusquée qui accuse de vouloir aller à la pêche aux informations, elle se dépêche d’ajouter : « Je t’en réchauffe un morceau ? »
De la pizza au petit-déjeuner.
Brillant.

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"Non" La voix de Lily claque dans la cuisine et finit de réveiller le mutant. "Tu es banni." Y'à un doigt qui se lève, menaçant, et Seth le suit du regard alors qu'il fend l'air au rythme des mots de son aînée : "Banni ! Recule ! Hors de ma cuisine, espèce de danger public !"Comment fait-elle pour avoir encore autant d'énergie ? "Danger public ?!?""Tu as mis le feu à des pâtes. Comment t’as fait ?" Seth fronça les sourcils. L'incident était apparemment resté dans sa mémoire. Il avait bien essayé de mettre ça sur le compte d'une quelconque maladresse, mais en même temps, c'est pas comme s'il pouvait lui dire qu'une gazinière fait des flammes, et qu'il avait... fort probablement... utilisé son pouvoir sans faire exprès, well. Si ça pouvait la rassurer, Seth avait de lui-même décidé de rester à l'écart, tant que possible, de tous les objets ménagers susceptibles de le faire cramer la baraque. "Des pâtes." L'entendit-il encore grommeler alors qu'elle retournait le frigo. Il aurait encore pu répéter, marteler qu'il avait pas fait exprès, mais il l'avait déjà bien assez dit, et puis ça semblait tellement évident. Comme si ça l'emmerdait pas, lui aussi, de foutre le feu aléatoirement. En plus, une fois sur trois, il se brûlait lui-même. C'était quand même con. "Je ne t’ai pas réveillé, j’espère ? Je ne sais pas quelle heure il est, mais il doit être tôt. Tu travailles aujourd’hui ? " Il avait pas dit à Lily qu'il avait du quitter son boulot. "J'ai pris des vacances. Le temps que cette histoire avec ma mère se calme un peu." Mais ça se calmerait pas. Tout ça ne pouvait qu'empirer, en fait. En vrai, Seth, il avait envie de lui dire à Lily. Il avait envie de s’asseoir en face d'elle et de tout déballer. La disparition de Jaden, la fuite, l'U-AM. Mais qu'est ce que je dois faire Lily ? Où est-ce que je dois aller ? Mais ça restait coincé dans sa gorge parc'qu'elle était trop serrée ces derniers temps. Alors il reste juste silencieux, observe la mine renfrognée de la jolie métisse. Il avait toujours eu un petit faible pour elle. C'était pas un secret. Mais au fur et à mesure que les années étaient passées, le lien qui les unissait s'était transformé, plus ou moins, en un truc un peu comme... un frère et une soeur. C'était ce qui s'en rapprochait le plus. Il avait que des demi frères, dans sa famille, mais s'il avait du avoir une soeur, il aurait aimé que ce soit Lily. "Je t’en réchauffe un morceau ?" Manger de la pizza au réveil paraissait saugrenu, mais c'était proposé si gentiment qu'il haussa des épaules. "Pourquoi pas." Il avait surtout envie d'un thé, mais pour ça il devait chauffer la bouilloire sur le feu. Mauvaise idée. Alors va pour la pizza. Il se détourne un instant de la cuisine pour aller fouiller dans les poches de son jean et récupérer son paquet de clopes. Il s'en prend une pour revenir le tendre à Lily. "Clope ?" Il se dépêche de s'allumer la sienne avant de retourner dans le salon, s'affalant dans le canap. "Et toi le boulot ? " Question innocente. Pour n'importe qui ne sachant pas quelle était la nature dudit taff. Lily était spéciale, elle l'avait toujours été. Elle avait choisi un travail en conséquence, et Seth n'aimait pas y penser. Il aimait pas l'imaginer, elle et les connards qui se servaient d'elle. "T'as l'air d'être défoncée." En la regardant s'affairer comme ça, Seth avait envie de la serrer dans ses bras. Elle sentait toujours bon, même quand elle rentrait de là bas. Elle avait encore un peu de mascara coulé sous les yeux, essuyé à la va vite.
Il la méritait pas.

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Ça l’amuse un peu, Lily, de voir du coin de l’œil Seth froncer les sourcils, comme un enfant vexé qu’on pointe du doigt ses erreurs. Elle sourit en sortant la pizza du frigo, sourit en la posant délicatement sur le plan de travail, sourit encore en la faisant disparaître sous une épaisse couche de cellophane. Dans son dos, elle peut imaginer le jeune homme l’observer en silence et sa présence tranquille achève de conférer à la scène comme un air de vie de famille, quelque chose d’indéfinissable, d’incongru, qui lui donne envie de laisser ses ennuis à la porte et de simplement jouir de l’instant présent.
Quelque chose de dangereux, donc, les problèmes ne disparaissent pas parce que l’on ferme les yeux et que l’on prie très fort. Et comme pour lui donner raison, Seth ouvre la bouche, laisse échapper les mots qui rappellent que, des fois, la vie est une garce, sans raison particulière, juste pour le plaisir de vous mettre des bâtons dans les roues : « J’ai pris des vacances. Le temps que cette histoire avec ma mère se calme un peu. » Lily fait mmmh, hoche distraitement la tête, se retourne, l’examine, songeuse. L’histoire avec sa mère, l’histoire sans fin, les reproches qui s’enchaînent comme les perles d’un collier, les fugues à répétition, tout ça, elle ne connaît pas les détails mais elle sent d’instinct que c’est l’un de ces feux qui ne s’éteindront jamais complètement, nourris par la rancœur, les regrets. Ce n’est pas une mère, Lily, mais elle aurait pu, et elle se souvient encore de l’émerveillement naïf, de la sensation de couver un miracle, du bonheur impossible. De l’amour primal, effrayant, qui rend tout plus clair, redessine les contours du monde, et des pensées qui la hantaient, obsédantes, véritable tempête sous son crâne. N’importe quoi. Je ferai n’importe quoi pour toi.
Elle se souvient et elle regarde Seth et elle ne comprend pas.

« C’est peut-être le bon moment pour toi de te trouver ton propre appartement, finit-elle par lâcher et elle se sent soudain vieille sans savoir pourquoi, sans vouloir savoir pourquoi. Je peux me porter garante. »
Elle essaie de ne pas en faire tout un plat, se rue sur son pourquoi pas diplomatique pour ne pas s’appesantir là-dessus plus longtemps, n’a même pas besoin de surjouer son enthousiasme quand elle glisse la pizza au micro-onde. Elle meurt de faim. S’adossant au mur, les bras croisés, la moue bougonne, elle tâche de prendre son mal en patience, fixe l’intérieur de la machine avec une concentration si intense qu’elle manque de sursauter quand Seth lui brandit un paquet de cigarettes sous le nez. « Après, peut-être, se contente-t-elle de répondre. » Puis, comme une arrière-pensée : « Merci. »
Quelques secondes plus tard, elle émerge de la cuisine, une assiette fumante à bout de bras. « Chaud devant ! qu’elle lance à la volée avant de s’affaler sur le canapé à côté de Seth. » Elle creuse sa place à la façon d’un chat, sans gêne, en s’étirant dans tous les sens et en laissant échapper un soupir de contentement lorsque la douceur des coussins soulage son dos meurtri. « Bouge, ordonne-t-elle sur le ton de la plaisanterie en déposant les parts grossièrement découpées entre eux, prêtes à être partagées, dévorées. »

« Et toi le boulot ? se hasarde à demander son invité et elle suspend son geste, surprise, un filet de sauce tomate qui menace de couler sur son menton et d’éclabousser sa robe. T’as l'air d’être défoncée. » En guise de réponse, elle hausse les épaules, faussement indifférente. Elle voudrait lui ébouriffer les cheveux, trouver les mots qui rassurent, qui réconfortent, noyer ses angoisses, sauf qu’il est têtu, Seth, qu’il ne se satisfait pas de paroles creuses et que ça lui fait peur à Lily. Ça lui fait peur parce qu’il est trop vrai, trop entier, qu’elle le surprend parfois à la regarder avec des yeux où brille une flamme aveuglante, purifiante, et qu’elle ne veut pas le casser. Le décevoir. Difficile de dire qu’elle est fière de battre le pavé en petite tenue, mais elle est fière de la manière dont elle le fait, la tête haute et le regard décidé. Elle est fière de ne pas courber l’échine sous les moqueries, les insultes, les intimidations, d’avoir tenu bon jusque-là. Et Seth qui s’acharne à vouloir la protéger, elle pourrait lui balancer, t’arrives trop tard, mais elle se retient, étrangement touchée.
Elle s’attendait pas à Seth.
Elle s’attendait plus à grand-chose, pour être honnête.
Ne change pas.
Ne laisse pas le monde te briser.

« Je n’ai pas envie de me disputer ce matin, fait-elle d’un ton monocorde. C’est la même chose toutes les nuits. Rien ne change. Le plus vieux métier du monde. Je suis à l’abri du besoin, c’est tout ce que tu as besoin de savoir. Tu devrais t’inquiéter pour toi. Moi, je me débrouille. »
Elle ne dit pas, c’est moi l’aînée, c’est à moi de prendre soin de toi.
Elle le pense et ça aussi, ça l’effraie.

(( Je ferai n’importe quoi pour toi. ))

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Seth se déplace légèrement pour faire de la place à Lily, qui vient s'installer juste à côté de lui. Il prend naturellement ses jambes pour les passer par dessus les siennes. Là, elle est bien calée. Il pose une main sur ses genoux, sent la chaleur de son corps contre sa paume. Il mentirait, s'il disait que ça le fait pas chier, de savoir que d'autres peuvent en profiter. Elle hausse juste des épaules avant de balancer : "Je n’ai pas envie de me disputer ce soir. " Seth ouvre la bouche et la referme. Il allait dire un truc, mais il se ravise. Il comprend bien que le moment est peut-être mal choisi. "C’est la même chose toutes les nuits. Rien ne change. Le plus vieux métier du monde. Je suis à l’abri du besoin, c’est tout ce que tu as besoin de savoir. Tu devrais t’inquiéter pour toi. Moi, je me débrouille." T'appelles ça te débrouiller Lily ? T'appelles ça te débrouiller de faire le trottoir tous les soirs ? T'appelles ça te débrouiller de devoir vendre ton propre corps pour survivre ? Y'à une pointe de culpabilité qui vient lui ronger le ventre malgré tout. Il profite de ça, lui aussi, à sa façon. En dormant sur son canap, en lui prenant de la nourriture, en lui prenant du temps. Mais ça n'empêche qu'il a envie de les défoncer, ces fils de chien qui la touchent contre quelques billets. ça lui met les nerfs à vif, ça lui brûle les veines... Il retire rapidement le foyer de sa clope pour la poser sur le rebord du cendrier, avant d'attraper une part de pizza avec un "Merci." Grondé tout bas. La pizza dès le réveil, ça fait bizarre quand même. Il en prend une davantage par automatisme que par réel appétit. Y'à une petite voix dans la tête qui lui dit de manger tant qu'il a encore quelque chose à se mettre sous la dent. Il en donne aussi une à Lily et l'observe manger du coin de l'oeil. Lily est belle, et elle a toujours su en tirer parti. "T'as raison." Il commence entre deux bouchées. "J'devrais me chercher un appart'." C'est dit calmement, mais ça n'attend aucune réponse. La vérité c'est que Lily a déjà bien assez de problèmes à gérer pour que Seth se permette de rester. Il a déjà perdu Jaden dans ses conneries, il peut pas accepter que ça se reproduise. Il pourra jamais se chercher d'appart, du moins pas tant qu'il sera recherché par l'UAM. Il connait personne capable de lui faire une fausse pièce d'identité. Putain, sa vie ressemble à un film. Il aurait jamais imaginé se retrouver dans la merde à ce point. "T'sais j'me disais aussi que j'pouvais te payer un peu le loyer, pour te remercier." Il termine sa part de pizza et se frotte les mains sur son pantalon avant de reprendre sa clope. Il a encore un peu d'économie, c'est vrai qu'il pourrait lui donner de l'argent. Elle arrêterait pas de bosser pour autant, et puis on va pas se mentir, il pourra jamais la faire changer d'avis à ce sujet. Même s'il aimerait bien. " J'me demandais... le couvre-feu te dérange pas ? ça te fait pas un peu flipper tout ça ?" Les jambes de la métisse glissent. Il passe un bras en dessous et un bras au dessus pour les remonter et les serre un peu fort, malgré lui.

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Elle s’attendait à une explosion de colère, à une pluie de reproches mal déguisés qui ne servaient qu’à cacher son inquiétude, même juste à un regard vexé qui refusait de soutenir le sien. Mais Seth bat en retraite, sans un mot, sans l’ombre d’une protestation, et Lily, un brin surprise, ne peut que scruter en vain son visage à la recherche d’un signe, de quelque chose, n’importe quoi qui puisse l’aider à comprendre. Elle aime penser qu’elle le connaît, Seth, qu’elle n’est pas de ceux qui se font avoir par sa façade bravache, ses poings qui percutent plus vite que ses mots, sa posture défensive dont le premier réflexe est de se dérober au toucher, à la caresse. Le jeune homme impulsif et violent qui alimente la rumeur, que sa peau noire achève de parer des couleurs de l’infamie, il n’existe que dans les comptes-rendus alarmistes de ses voisins, inquiets de le voir grimper régulièrement les marches jusqu’à son appartement. C’est idiot.
Seth, c’est ce cinéphile passionné qui ronge son frein lorsqu’il devient évident, entre deux débats houleux sur les mérites du Luke/Leia face au Han/Leia, que tout ce qu’elle a retenu de Star Wars V, ce sont les histoires d’amour.
Seth, c’est ce grand guerrier qui a peur de la blesser, qui s’empare de ses jambes pour s’en draper comme d’une couverture, et qu’elle laisse faire. Il est bouillant, un vrai radiateur ambulant à lui tout seul. Il l’a toujours été mais ces derniers temps, c’est comme s’il brûlait de l’intérieur. À moins que ce ne soit le monde autour d’eux qui s’est refroidi.

« T’as raison. J’devrais me chercher un appart'. » Il y a quelque chose dans sa voix qui capte son attention, comme une supplique discrète de se contenter de ce qu’il veut bien lui donner, alors forcément Lily insiste : « Tu devrais en parler à Jaden. Je suis sûre qu’il sautera sur l’occasion pour se mettre en coloc avec toi. Ça m’étonne qu’il ne te l’ait pas déjà proposé. » Son regard échoue sur le bout de clope abandonné dans le cendrier et elle mâchonne distraitement une croûte de pizza. La voix de Seth ne tarde pas à l’interrompre dans ses pensées. « T’sais, j’me disais aussi que j’pouvais te payer un peu le loyer pour te remercier. » Le coup de pied part tout seul, pas assez fort pour faire mal mais suffisamment pour surprendre. L’instant d’après, ses jambes retrouvent leur place légitime sur les genoux de Seth et elle se réinstalle confortablement, ronronnant presque.
Elle préfère faire semblant de ne pas l’avoir entendu mais ses yeux parlent pour elle.
C’est moi qui t’ai invité.
Avec l’argent de quel boulot, puisque tu es en vacances ?
Contente-toi de faire le ménage.
Je m’occupe du reste.

Une pression sur ses jambes, légère, imperceptible, les bras de Seth qui se resserrent autour d’elle. « J’me demandais… le couvre-feu te dérange pas ? Ça te fait pas un peu flipper tout ça ? » Malgré elle, Lily ne peut s’empêcher d’apparenter le geste, la question à ceux d’un enfant. Ça la fait sourire. Elle sait que Seth est un adulte, qu’il peut prendre soin de lui, mais des fois, elle oublie.
Elle l’observe en silence un long moment avant de se décider à répondre.
« Je t’ai déjà parlé du Vietnam ? » Non, bien sûr. On ne parle pas de ces choses-là. De plus, elle n’est pas certaine que Seth est prêt à l’entendre raconter le déluge de fer et de flammes sur le village de son enfance, les paysages ravagés, les soldats qui se croyaient tout permis, les familles déchirées, les idéologies que l’on brandissait à tour de bras. « On avait un couvre-feu aussi, là-bas, à Saigon. Vers minuit. Au début, les gens étaient paniqués. C’était nouveau. C’était différent. Ils faisaient attention. » Elle prend son temps, Lily, cherche des mots simples, pas parce qu’elle a peur qu’il ne comprenne pas, mais parce qu’elle ne veut pas qu’il comprenne trop. « Et puis la guerre a duré. Et duré. Et duré. Et ça use. Et ça détruit. Ceux qui ont gardé la tête froide sont ceux qui ont refusé de s’habituer, qui ont continué à vivre comme si de rien n’était. Ou qui se sont révoltés. » Elle ne faisait pas partie de cette seconde catégorie.
Tout ce qui comptait pour elle à l’époque, c’était de survivre.

« Je ne crains pas le couvre-feu. Je crains que ça devienne normal. Et toi ? »

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Y'à le sourire de Lily qui lui perfore le coeur. Lily est ce genre de fille à ne jamais sourire vraiment. Elle donne l'impression de sourire, mais ces yeux, eux, ne sourient pas. Il y reste toujours une étrange lueur que Seth a du mal à comprendre, à appréhender. Elle reste belle, pourtant, les traits un peu fatigués, des petites cernes sur le teint cannelle, les jambes frêles captivent entre ses bras. La réponse se fait attendre, et Seth aimerait bien savoir à quoi elle pense. Quelles réflexions tournent dans son esprit. Sans doute tournent-elles trop vite, comme lui. "Je t’ai déjà parlé du Vietnam ?" Non. Il hausse un sourcil curieux à la question, mais se garde bien de prononcer le moindre mot. Lily n'a jamais été très bavarde sur le sujet, bien que la chose ne soit pas inconnue. Et le métisse n'est pas très doué pour poser ce genre de questions, alors il les évite. Parce que parfois et même si ça ne lui ressemble pas, c'est facile d'être lâche. Peut-être qu'il a peur de la casser, Lily, en demandant. Alors que c'est complètement con, il la sait plus forte que ça. Trop forte pour lui, bien souvent... "On avait un couvre-feu aussi, là-bas, à Saigon. Vers minuit. Au début, les gens étaient paniqués. C’était nouveau. C’était différent. Ils faisaient attention." Le silence à nouveau. La vie dehors commence à reprendre son cours. On entend quelques voitures et quelques oiseaux. Le mélange des deux sons ne va pas bien ensemble. Ce n'est pas bien équilibré. C'est le bruit de la ville qui doucement émerge du sommeil... A l'heure où ils devraient tous les deux se glisser dans le leurs. "Et puis la guerre a duré. Et duré. Et duré. Et ça use. Et ça détruit. Ceux qui ont gardé la tête froide sont ceux qui ont refusé de s’habituer, qui ont continué à vivre comme si de rien n’était. Ou qui se sont révoltés." Seth sent un léger frisson lui courir le long de l'échine. Il n'a pas vécu ce qu'elle a vécu, mais les mots sont lourds entre les lèvres de la métisse. Ils pèsent trop. Il a pas connu le Vietnam, il en a juste entendu parler. L'horreur n'a pas toujours besoin d'être personnellement vécu pour avoir un impact ; même moindre. Il resserre imperceptiblement ses bras autour d'elle... "Je ne crains pas le couvre-feu. Je crains que ça devienne normal. Et toi ?" Il croque dans son dernier bout de pizza pour se donner contenance. Se plaindre de ses problèmes lui paraîtraient stupides après une telle tirade. Tout lui parait dérisoire, à côté d'elle. Et en même temps, ça le réconforte. Si elle arrive à survivre à ça, alors y'à pas de raison que lui, il y arrive pas, hin ? "Je sais pas." Qu'il dit pourtant, un peu bas. Une main remonte le long de la jambe, efleure un genoux. Il se mord la lèvre inférieure, réfléchissant à ces mots, lui aussi. Il s'attendait pas à ce que la situation prenne une tournure aussi dramatique, tout d'un coup. Mais ça a le mérite de lui faire prendre du recul sur le contexte actuel. "J'trouve que c'est vraiment con de traiter des gens comme des bêtes de foire." Ou de simples objets d'études en laboratoires. Parce que c'est comme ça qu'ils vont finir, c'est certain. Mais pas lui. " Faut que j'te dise quelque chose Lily." C'est pas correct de profiter d'elle et de son ignorance. Il l'a met en danger à cause de sa gentillesse. Seth était contre l'idée de lui dire, mais finalement, peut-être qu'elle saura mieux se protéger en sachant la vérité. Elle saura quand quel piège elle est tombée, à vouloir l'héberger... Le métisse s'en veut de la mettre dans cette situation, après tout ça. Après tout ce qu'ils ont partagé. " J'suis un..." Monstre ? Truc chelou non identifié ? Un taré ? " Un mutant." C'est le terme exact. C'est comme ça qu'ils l'appellent. Il aimerait bien ajouter qu'il est pas dangereux, ou un truc du style pour la rassurer. Mais soyons honnête, c'est un pyromane ambulant. Il ose même plus toucher au four ou aux plaques à gaz à cause de sa merde. "Alors forcément, j'ai envie de les défoncer, ces enfoirés..." Il prend une grande inspiration pour essayer de contenir son angoisse, observe minutieusement le visage de Lily pour essayer de déceler ses émotions...

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Elle se laisse bercer, Lily, par le toucher rassurant, presque tendre, de Seth qui l’ancre à la réalité, par les bruits de la ville qui se réveille lentement derrière ses fenêtres, par l’odeur des pizzas qui embaume la pièce. La fatigue menace de lui faire fermer les paupières mais elle s’efforce de rester alerte, se raccroche à des détails pour ne pas sombrer dans le sommeil. L’indécision de Seth qui se reflète sur son visage, sa voix qui perd de sa force et devient plus basse, ses lèvres qu’il se met à mordiller sans doute inconsciemment. Elle l’abandonne à ses pensées, ses doutes, se contente de l’observer du coin de l’œil avec un mélange de curiosité et de distance. « J’trouve que c’est vraiment con de traiter des gens comme des bêtes de foire, finit-il par dire. » Sa spontanéité lui arrache un petit rire. » Elle hausse les épaules, vaguement désinvolte. Elle est de celles pour qui il n’y a pas de mauvaise attention, préfère de loin à l’indifférence les regards moqueurs, les bouches tordues par le mépris. Elle veut qu’on sache qu’elle existe.
Mais elle n’est pas Seth et Seth n’est pas elle.

« Faut que j’te dise quelque chose Lily, poursuit-il, et il y a quelque chose dans son ton qui pique son intérêt. » Elle se redresse légèrement, comme pour mieux encaisser un coup. « Ok, lâche-t-elle, les sourcils froncés. » Ok, je suis là, ok, je t’écoute. Elle essaie de se rappeler une occasion où Seth s’est montré aussi solennel. Elle échoue. « J’suis un… » Il y a son souffle qui se coince dans sa gorge, son corps qui se glace tandis que son cerveau lui susurre les mots qui peinent à franchir le barrage des lèvres du jeune homme. Un mutant. Elle a envie de lui voler la parole, pour ne pas savoir, parce que si elle ne sait pas, elle n’aura pas à agir. Et puis elle s’en veut aussitôt. Elle n’ignore pas qu’il est juste de la qualifier d’égoïste, qu’elle n’hésite pas, n’a jamais hésité à sauver sa peau avant celles des autres. Elle ne regrette rien. C’est comme ça qu’elle s’en est tirée jusque-là. Mais.
Mais c’est Seth.
Seth qui squatte son canapé depuis des semaines, par intermittence, Seth qui ne travaille plus, Seth dont la mère refuse de lui adresser la parole.
Seth qui s’indigne lorsque la vie ne la traite pas comme une princesse mais tait ses propres problèmes et angoisses, pour ne pas l’inquiéter, Seth qui flamboie, si fier et si maladroit dans sa manière de foncer tête baissée, insouciant du danger.
Seth qu’elle a vu grandir et s’affirmer au fil des ans.

« Un mutant, achève-t-il, et le temps qu’il prenne une grande inspiration, qu’il retrouve le courage de la regarder en face, elle a déjà pris sa décision. Alors forcément, j’ai envie de les défoncer, ces enfoirés… » Lily songe à son mari, endormi dans la pièce d’à côté, et respire profondément. Elle peut le faire. « Bon sang, Seth, jure-t-elle, mais il y a plus de résignation que de colère dans sa voix. » Elle se lève brusquement, fait les cent pas dans le salon, réfléchit à toute vitesse. « Tu n’es pas du tout en vacances, n’est-ce pas ? » Sa question n’appelle pas de réponse et, impitoyable, elle continue : « Tu ne peux pas me cacher ce genre de choses. Et si l’uam était venue chez moi sous de faux prétextes et que je t’avais trahi sans le savoir parce que je ne connaissais pas la vérité ? » Cette pensée soudaine la remplit d’horreur et elle se dépêche de la noyer dans un flot de préoccupations pratiques pour chasser sa peur, son désarroi. Se nourrir, se tapir, dormir, pourquoi pas quitter la ville, comment faire, comment mieux faire ? « Tu ne défonceras personne. Tu veux mourir ou quoi ? » Tout va bien se passer, se répète-t-elle comme un mantra. Il le faut.
Je ne peux pas le perdre.

Elle cesse ses allers-retours précipités, se passe une main dans les cheveux, fébrile, puis se plante en face de lui, radoucie par le maelström d’émotions qu’elle décèle sur son visage : « Seigneur, Seth. Depuis combien de temps ? » Depuis combien de temps la galère, la cavale ? Elle aurait dû le deviner. Ne pas le laisser seul en proie à un monde qui lui a tourné le dos. Elle se concocte une liste sous son crâne des tâches à accomplir, transforme les tu en nous au bout de sa langue, nous allons nous débrouiller, nous allons nous en sortir, encore un peu incertaine mais au moins sûre d’une chose : cette guerre, c’était aussi la sienne à présent.
Seigneur, indeed.

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"Bon sang, Seth" Il a pas le temps de la retenir. Elle est déjà debout. Sur ses paumes les dernières brides de chaleur de sa peau, alors que Lily brûle au milieu du salon d'une intensité qu'il avait pas vu depuis longtemps. Seth serre juste les dents, mal à l'aise en la voyant ainsi. "Tu n’es pas du tout en vacances, n’est-ce pas ?" Le mutant ouvre la bouche une demie seconde pour répondre, la referme en voyant qu'elle enchaîne, comme une tornade à pleine puissance. "Tu ne peux pas me cacher ce genre de choses. Et si l’uam était venue chez moi sous de faux prétextes et que je t’avais trahi sans le savoir parce que je ne connaissais pas la vérité ?" Si elle l'avait trahi ? C'est pas à ça qu'il avait pensé en premier lieu, à vrai dire... Il avait pas pensé à lui mais à elle, à son couple, à sa sécurité. Il ramène ses mains contre lui, croise les bras pour mieux contenir la tension qui s'est installée dans son corps. Il voudrait trouver les mots pour la calmer, mais quand elle est lancée, Lily, elle est comme lui. Inarrêtable. Alors il attend la fin, il attend que les mots se noient d'eux-même, que la parole se tarisse. Pour une fois que c'est le plus calme des deux... Même si ce n'est qu'en apparence. Il essaye juste de ne pas perdre le contrôle, ces derniers temps. La dernière fois qu'il a été trop excessif dans ses émotions, il a quand même fait explosé un immeuble ; alors ça suffit les conneries. "Tu ne défonceras personne. Tu veux mourir ou quoi ?" "Parce que tu crois qu'ils se gêneront pour le faire, eux ?!?" Qu'il siffle en voyant Lily cesser ses mouvements. Une main dans ses longs cheveux sombres, la respiration un peu trop courte pour paraître apaisée. Il est toujours assis dans le canapé quand elle revient se planter devant lui. "Seigneur, Seth. Depuis combien de temps ?" L'interpellé lui attrapa les mains pour l'empêcher de retourner vadrouiller dans tous les coins possibles de l'appartement. Délicatement, il caressa ses paumes, levant les yeux vers Lily pour essayer de la rassurer. "J'sais pas trop." Indéniablement, depuis la météorite. Il avait eu de la fièvre, peu de temps après ça. Il savait pas trop si c'était lié. Trop de choses restaient encore incertaines, concernant l'apparition de ce pouvoir. Si ça se trouve, il était comme ça depuis toujours ? Si ça se trouve c'était un truc en rapport avec les hormones ? "Hey Lily." Qu'il dit, autoritaire. Il se leva à son tour, les mains enfermant toujours les fragiles doigts de la métisse, les yeux fixés dans ceux, légèrement bridés, de son amie. "C'est bon, calme toi. Tout va bien." Tout va bien. Il est juste là, il est en sécurité. Il est pas mort, ni blessé. Et elle va bien, Lily, elle aussi. Mis à part que Seth a l'impression de lui avoir annoncé que le père Noël existait pas. "Enfin faut juste que j'me tienne éloigné d'la gazinière." Un rire moqueur lui échappa. Il reprit son paquet de clope d'une main, ne libérant qu'à moitié sa comparse. Il en fumait trop en ce moment, mais il estimait que c'était bien nécessaire, pour supporter tout ça. " Moi j'trouve ça cool." Il fit mine de se peindre les joues de deux doigts rapides avant d'ajouter : "J'suis genre un super héros quoi." Resserrant sa prise sur la main de Lily...

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you can’t always get what you want

« Parce que tu crois qu’ils se gêneront pour le faire, eux ?!? » Ça le don de lui rabattre le caquet l’espace d’une seconde, à Lily, le temps qu’elle réalise qu’ils se tiennent sur deux berges opposées. Elle, prudente, calculatrice, qui attend son heure dans l’ombre du brasier, guette la fin du conflit en veillant à ne pas se brûler les doigts. Lui, révolté, un brin immature, qui rend coup pour coup, refuse de ployer devant une autorité injuste, quitte à s’embraser. Non, ils ne se gêneront pas, songe distraitement Lily, et c’est bien ça qui lui fait peur, parce qu’elle le connaît, Seth. Elle laisse échapper un petit rire résigné, un peu désabusée, un peu agacée, avant de redevenir sérieuse. Elle s’apprête à reprendre le ballet machinal de ses pieds sur le parquet grinçant lorsqu’une paire de mains se glissent dans les siennes. Stoppée net, elle baisse les yeux, sombre sur clair, clair sur sombre, une caresse qui se veut apaisante sur sa peau, la familiarité du geste qui lui arrache malgré elle un sourire fugace. « J’sais pas trop. » Elle a envie de dire que ce n’est pas grave, qu’il y a des choses plus importantes à savoir, comme la nature de son pouvoir, ce qu’il compte faire pour apprendre à le maîtriser. Elle ouvre la bouche, prête à laisser jaillir un flot de protestations, à asséner des ordres déguisés en conseils mielleux, mais Seth l’interrompt tout à coup : « Hey Lily. » Le ton est autoritaire. La prise ferme sur ses mains. Le regard fixe et intense. « C’est bon, calme-toi. Tout va bien. » Sa gorge est sèche, les mots peinent à se frayer un chemin jusqu’à ses lèvres. Elle observe Seth avec un mélange d’incrédulité et de surprise, traque du regard l’adolescent maladroit et rougissant qu’elle s’amusait à faire tourner en bourrique dans les traits affirmés de ce jeune homme à la voix forte, rassurante. Où est-il passé, le garçon braillard qu’elle a rencontré huit ans plus tôt, toujours prompt à se plier en quatre pour satisfaire le moindre de ses désirs et de ses caprices, du plus insignifiant au moins raisonnable ? Si facilement manipulable, tant qu’elle lui décoche un sourire éclatant ? C’est elle qui le rassure, d’ordinaire, elle qui dicte la marche, donne le rythme, demande, impose, réclame. Les rôles sont inversés et ça la déstabilise. Elle ne sait pas quoi penser. « Tu as grandi, souffle-t-elle d’un ton étrange, comme si elle venait soudain de réaliser quelque chose. » Il a grandi et elle, trop aveuglé par ses propres problèmes, ne s’en est même pas rendue compte. À la lumière de cette information, Lily le scrute d’un œil nouveau, vaguement captivée. « Enfin faut juste que j’me tienne éloigné d’la gazinière, poursuit le métis et la vietnamienne profite de la diversion, se raccroche à l’humour dans sa voix pour ne pas s’appesantir plus longtemps là-dessus. » Elle écarquille les yeux, éberluée, tandis que les rouages de son cerveau s’affolent. « Tu, tu, tu… Les pâtes ?! Tu contrôles le feu ?! » Elle éclate d’un rire bref parce que, évidemment. Évidemment. « Tu ne pouvais pas briller dans le noir ou, ou… Je ne sais pas moi, projeter des paillettes ? » Seth daigne enfin lui lâcher la main pour extirper une cigarette de son paquet, ce que Lily ne peut s’empêcher d’observer avec une certaine méfiance. Elle doit se retenir de lui voler le bâton incandescent. « Moi j’trouve ça cool, plaisante-t-il en traçant du bout de son doigt des peintures de guerre invisibles sur ses joues. J’suis genre un super-héros quoi. » Une pression sur sa main, qu’elle imite distraitement, comme un écho. « Je suppose que ça te va bien. Le feu. La chaleur. Tout ça, reconnaît-elle à contrecœur. Mais Seth, tu as failli brûler ma cuisine. Il faut que tu apprennes à te contrôler. Pour le moment, j’ai l’impression que le plus grand danger qui te menace, c’est toi. » Et ça, elle ne peut pas le tolérer.

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"Tu, tu, tu… Les pâtes ?! Tu contrôles le feu ?! Tu ne pouvais pas briller dans le noir ou, ou… Je ne sais pas moi, projeter des paillettes ? " Oui c'est sur que projeter des paillettes, ça aurait été moins embarrassant, comme pouvoir. Et moins stylé aussi, mais il aurait pu faire fortune parce que les paillettes en 1980, c'était encore vachement à la mode sur la piste disco. Par contre briller dans le noir ? Well. C'était déjà assez embarrassant de se planquer dans ses poubelles pour échapper aux patrouilles, alors si EN PLUS il brillait ?!? Même si il devait bien y avoir quelqu'un, dans cette foutue ville, qui avait hérité de ça. Tout était possible, mais au loto des supers-pouvoirs, Seth avait été plutôt bien servi pour une fois dans sa vie. "Je suppose que ça te va bien. Le feu. La chaleur. Tout ça" La remarque lui tire un petit sourire un peu fier, malgré lui, alors que leurs doigts se serrent légèrement. Sourire qui s'efface en entendant la suite. "Mais Seth, tu as failli brûler ma cuisine. Il faut que tu apprennes à te contrôler. Pour le moment, j’ai l’impression que le plus grand danger qui te menace, c’est toi." Le métisse leva les yeux au ciel au sermon de son amie. Il n'était pas d'accord avec ça. Il avait vu l'UAM, il avait vu Lennox. Il n'avait probablement fait que toucher du doigt ce qui se tramait réellement, mais il s'était bien rendu compte en tout cas que tout le monde ne prenait pas forcément au sérieux la menace de l'Unité Anti-Mutant. Et pourquoi, de toute manière ? Lily n'était même pas concernée, elle n'avait pas de pouvoir. La seule chose qu'elle risquait, c'était une "entrave à la justice", ou un truc du style ? "Je jure solennellement de ne pas brûler ton appartement." Il dit, avec un petit rire moqueur. Il ne savait pas encore exactement comment la chose fonctionnait, mais tant qu'il restait calme, ça se passait bien. Le plus dur c'était de rester calme, vu qu'il avait tendance à s'énerver sur la moindre petites choses de sa vie (quelle dramaqueen), mais ces derniers temps il avait appris à relativiser. En réalité ce qui était dur c'était pas ça. C'était la petite voix dans sa tête, à chaque fois que son pouvoir s'activait, qui lui disait qu'il en fallait plus. Lâche toi, brûle tout, il faut tout consumer. Il commençait à peine à réaliser à quel point la chose était addictive. Lui qui n'avait jamais été très porté sur les drogues, à part pour s'amuser occasionnellement. Quelque part, il découvrait avec son pouvoir le même besoin qu'avec la nicotine. Plus il passait du temps sans s'en servir et plus il se retrouvait à vif, sur les nerfs. Plus il s'acharnait à ne pas craquer et plus il risquait, en réalité, d'exploser. Seth était une bombe humaine et il n'avait aucun extincteur. "Tu devrais aller dormir." Le regard suivit la fenêtre où la nuit n'était déjà plus si noire.

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Demain, quand le repos aura chassé le brouillard dans sa tête, elle prendra véritablement conscience des risques que courent Seth au-delà des murs de son petit appartement. Demain, de nouvelles questions viendront s’échouer au bout de ses lèvres, enrobées de miel et faussement innocentes, tandis qu’elle flattera les egos d’hommes fortunés, en quête d’informations précieuses. Demain, les intérêts de la mafia devront s’aligner avec les siens et ceux de Seth, si Zhenya attend toujours de sa part une dévotion sans faille. Demain, elle mettra la machine en marche. Ce matin, elle se contente de sourire, amusée mais peu convaincue par le ton désinvolte de son ami, menaçant de se laisser dominer par une anxiété sourde qui refuse de dire son nom. Tout va bien se passer. « Ne fais pas de promesses que tu ne pourras pas tenir, se moque-t-elle gentiment. » Pas à moi. Elle glisse une main à travers ses mèches indisciplinées, l’ébouriffant comme lorsqu’il avait dix-huit ans et beaucoup trop d’assurance, avant de l’attirer contre elle et de le serrer dans ses bras une dernière fois. Seth, vivant, en bonne santé, en sécurité. À la lumière de ses aveux récents, elle chérit ce moment. Elle ne dit pas un mot de plus quand elle le relâche. Elle dit tout. Tu sais que tu peux compter sur moi. Merci pour ta confiance. Il va falloir que je m’en montre digne maintenant.
Et ça lui fait bizarre.

Elle est fatiguée, Lily, mais ses idées restent claires, vives comme l’éclair. Pendant longtemps, elle n’a rien eu à perdre. Elle se fichait pas mal des conséquences. Maintenant, les choses ont changé, imperceptiblement, et elle se surprend à guetter les nuages noirs à l’horizon avec un peu d’appréhension. Elle se connaît dans l’adversité, quand la seule peau à sauver est la sienne, se connaît dans la fuite et la survie, au milieu du danger. Les prochaines semaines vont être un moment de découverte pour tout le monde, songe-t-elle avec ironie. La voix familière de Seth l’arrache à ses pensées, l’empêche de se demander ce qui les attend bientôt, à la lisière de l’inconnu. « Tu devrais aller dormir. » Elle suit son regard. Par la fenêtre, l’aube a cédé la place au jour. C’est l’heure des gens honnêtes. « Oui, j’y vais, répond-t-elle distraitement. Sois prudent, d’accord ? Et Seth… » La fin de sa phrase lui échappe avant qu’elle ne disparaisse dans sa chambre. « Tu auras toujours une place ici. C’est important que tu le saches. »
Parce que c’est quelque chose qu’elle, elle ne se permettra pas d’oublier.

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