L'arrache-coeur (James)

La librairie était fermée entre midi et 14h. Nils aurait pu rester manger au bureau, mais il avait annulé le rendez-vous de 13h30 et avait un peu plus de temps que prévu. Il avait surement laissé James tranquille assez longtemps pour se permettre de retourner le faire chier. Une semaine, c'est largement suffisant pour se remettre de ses émotions, et puis c'est pas comme s'il l'avait pas prévenu qu'il reviendrait. Il avait dit "à bientôt". C'est pas dans 3 mois, pas dans 1 an. Une semaine c'est bien. En plus en revenant le même jour, il se disait que ça instaurerait une routine. Un genre de... rituel ? Non pas qu'il voulait vraiment en instaurer un avec James, mais pour l'apprivoiser ça pouvait être utile. Sur le chemin, le brun dévalisa une boulangerie de ses sandwichs (à coup sur James allait le juger, il devait pas être du style à manger des sandwichs parce que c'est clairement un truc de pauvre, à moins qu'ils ne soient au caviar, mais faut un début à tout). En plus il en avait pris un de chaque goût, alors le libraire allait bien réussir à en trouver un digne de lui. THE sandwich. Et puis y'avait des parcs sympas dans lesquels ils pouvaient aller.... Enfin fallait déjà que le thérapeute arrive à tirer le libraire hors de son antre.
Il arriva sur place vers 13h55, observant quelques clients à la caisse qui se dépêchaient surement de payer avant la fermeture. Il en profita pour faire un tour au rayon des nouveautés, attendant sagement que James en termine. C'était fou de le voir si poli et si aimable. Nils avait la vague impression d'observer un animal : c'est donc ainsi qu'il se comporte à l'état sauvage. Le James est une bête imprévisible, de toute évidence. Il en avait lui-même fait les frais, la dernière fois... Lorsque le dernier client quitta les lieux, le thérapeute ne lui laissa pas le temps de bouger qu'il était déjà devant la caisse, posant négligemment un coude sur le comptoir avec un petit sourire affable. "Tu as un sens du commerce irréprochable, on sent à peine le mépris dans ta voix quand tu leur dis au revoir passez une bonne journée." A peine... Juste légèrement, vers la fin. Il y a surement des choses plus difficiles à cacher que d'autres, hin ? "Je viens faire la paix en te proposant de venir manger avec moi à Minnehara Park." Il souleva le sac pour le secouer un peu, histoire de l'appâter. Même si ça ne valait pas sa cuisine, mais il se voyait mal se ramener avec des tupperwares à la librairie, vraiment, ça aurait été too much. Il préférait garder encore la surprise quant à ce talent caché, il aurait bien l'occasion de faire quelque chose de ce côté là... Le jour où il ramènerait James chez lui, peut-être ?

James prie rarement le seigneur. Il considère leur relation plutôt inadéquate si vous voyez ce que je veux dire… Mais aujourd’hui, il était d’humeur à prier. Y a des matins comme ça vous comprenez… vous vous réveillez, et vous vous dites que Dieu devrait être de votre côté en cette journée ensoleillée, car quelque chose de pas net se trame.
Donc aujourd’hui, comme tous les jeudis, il devait travailler la journée entière pour laisser Jessie sur des dossiers plus importants, genre celui du mutant qu’ils trackent gentiment depuis quelques jours. Elle était beaucoup plus à même d’être cordiale que lui, donc il était bien obligé de la laisser faire ses petites explorations et papotages avec les individus. Lui pouvait s'en passer.
L’air aimable placardé sur le visage, James distribuait son plus beau sourire à ses clients, des livres, un encaissement et un sourire. C’était une transaction facile, simple… mais ça demandait quand même des efforts a ses lèvres de s’étirer. Très éprouvant. Il avait hâte que toute cette mascarade cesse pour qu’il puisse prendre une pause, enfin, et surtout manger. Genre, son ventre commençait franchement à l’insulter intérieurement tellement il se contractait. Mais tu gardes toujours le sourire, James, tel le bon professionnel que tu es.
Et bien sûr, c’est au moment où il allait encaisser le dernier client qu’il remarqua l’intrus. Et merde. Non, vraiment, il ne pouvait pas gérer cet énergumène, pas aujourd’hui. Il glissa un marque-page entre les pages du dernier livre vendu, plaça ledit livre dans un sac en papier et le tendit à la dame, un hochement de tête et un sourire, c'est ça passez une très bonne journée madame…. Il la regarda partir, presque à regret… Puisqu’il allait devoir s’occuper du cas de Nils, maintenant. Ce dernier s’était d’ailleurs matérialisé devant lui en un instant, accoudé au comptoir… "Tu as un sens du commerce irréprochable, on sent à peine le mépris dans ta voix quand tu leur dis au revoir passez une bonne journée."
Le visage de James se renfrogna. Il n’avait nullement envie d’être poli. Il rechigna néanmoins dans sa barbe : "Le mépris, je te le réserve." Il avait presque envie de faire une bouche en cœur, mais honnêtement, Nils ne le méritait pas.

"Je viens faire la paix en te proposant de venir manger avec moi à Minnehara Park." Bon ok, peut-être qu’il méritait un peu de son attention, aujourd’hui. James regarda le sac, puis Nils, puis le sac… Tu penses franchement m’acheter avec un sac en plastique ? Vraiment ? Bon, peut-être… il avait trop faim pour réfléchir. "Et même pas un repas fait maison, pour faire la paix ? Tu me déçois presque… Mais j’imagine qu’on va se contenter de ça ?" Il semblerait que tu sois coincé James. Tu vas devoir accepter le compromis de manger avec Nils. S’il vient en "paix" (même si t'es sûr qu'il ne connait pas la définition de ce mot), tu ne vas pas le répudier hein... Mais il ne manquera certainement pas de lui faire remarquer ses goûts douteux en matière de nourriture. Il fit le tour du comptoir pour tourner sa pancarte en fermé. Bon, autant en finir le plus vite. Son ventre attendait toujours.

"Et même pas un repas fait maison, pour faire la paix ? Tu me déçois presque… Mais j’imagine qu’on va se contenter de ça ?" "Honnêtement, j'me suis juste dit que si je me ramenais avec un truc cuisiner, tu trouverais le moyen de m'accuser d'une tentative d'empoisonnement." Avoue que t'es juste jamais content, James. T'es un éternel insatisfait. Et quand même, il a pris pleins de goûts différents pour qu'il y en ait au moins UN que tu aimes, alors un peu d'indulgence pour une fois, pitié. Un sourire victorieux sur les lèvres qu'il ne tenta même pas de masquer, il observa le brun faire le tour du comptoir pour tourner sa pancarte, annonçant la fermeture de la librairie. "Et c'est vrai, d'ailleurs, que j'aurais surement essayé de foutre un peu de drogue dans la bouffe histoire de voir à quoi tu ressembles quand tu te retires le balai que tu as dans le cul." Lance t'il, délicatement, en sortant de la boutique à la suite du grand brun. Cela étant dit, la chose lui donne un charme tout à fait appréciable. Et puis il pense qu'il a oublié de prendre des boissons. Il va falloir qu'ils s'arrêtent pour prendre une bouteille d'eau, ou n'importe quoi qui conviendra à James. Pas grave. On peut pas toujours être parfait, n'est ce pas ? "Je plaisante." Murmure t'il, finalement, bien que le ton employé laisse entendre le contraire. Et sur ces mots, il emboîte le pas au libraire en direction du parc. Ils trouveront bien une boutique sur le chemin pour acheter ce qu'il manque.
Et donc... Ils sont censés faire la discussion, en attendant d'arriver à destination ? C'est bizarre. "Tu as passé une bonne matinée ?" C'est une question ordinaire. C'est comme parler de la pluie et du beau temps. "Tu es installé à Minneapolis depuis longtemps ?" Continua t'il par politesse. En vrai, la réponse l'intéressait. Il n'avait pas pris le temps de se renseigner sur la librairie. Une éventuelle date d'ouverture de cette dernière aurait pu lui donner la réponse, mais il ne l'avait pas fait. Il n'était pas intrusif, du moins pas avec James. Il ne savait pas encore si c'était par manque d'intérêt ou par... respect ? Il préférait penser à la première option qu'à la deuxième. "Ah. Et j'ai oublié d'acheter à boire." Sur ces mots, il s'arrêta net devant une épicerie, laissant là le libraire (qu'il le suive si l'envie lui disait) pour rapidement acheter deux bouteilles d'eau et revenir dans la rue, continuant l'escapade jusqu'au parc. Quelle aventure... Il aurait préféré emmener James à la plage, ou dans une forêt (histoire de cacher facilement son cadavre), mais bon, un parc, c'était bien aussi. C'était d'"autres circonstances", du moins.

Se trouver en compagnie de Nils, c’est un peu comme se trimballer la peste au bout d’une laisse. Ce n’est franchement pas agréable. Quel paysan ce mec. Bon, au moins, il savait choisir ses vêtements... Donc on va dire La Peste bien habillée. "Honnêtement, j'me suis juste dit que si je me ramenais avec un truc cuisiner, tu trouverais le moyen de m'accuser d'une tentative d'empoisonnement." Complètement, oui. Totalement, même. C’était un risque que James, à ce stade, n’était pas prêt à prendre. Certainement pas, non. Nian nian nian. Il pouvait parler, le fait est que sa demande de paix se faisait avec des vieux sandwichs d’une pauvre boulangerie sans doute jamais récompensée pour son bon pain. Mais passons. Tant qu’il n’a pas mis de trucs chelous dedans, ça devrait aller. "Et c'est vrai, d'ailleurs, que j'aurais surement essayé de foutre un peu de drogue dans la bouffe histoire de voir à quoi tu ressembles quand tu te retires le balai que tu as dans le cul." PARDON ? Mais quelle attaque, directe, franche et franchement sans aucun fondement. D'abord James n’a pas un balai dans le cul. Y a vraiment qu’un pauvre pour parler de la sorte. Comment peut-il sortir de telles inepties ? James avait presque commencé à tolérer la potentiel appétence pour ses lèvres. Bravo Nils, tu as réussi à l’en dégoûter par tes mots. "Je plaisante." Presqu'à peine audible. Comme si James allait te croire. Il se racla la gorge, signifiant franchement qu’il en doutait lourdement. “Bien sûr oui.” Son visage afficha un air dubitatif durant quelques secondes.
Cela dit, au moins, Nils avait un potentiel conversationnel intéressant. Après tout, c’est lui qui était venu le chercher pour le débarquer de sa librairie, donc c’était tout aussi naturel qu’il fasse la causette le premier, non ? Entertain me, peasant. "Tu as passé une bonne matinée ?" Sérieusement ? Nils ? "Tu es installé à Minneapolis depuis longtemps ?" Serait-il en train de tenter d’avoir une conversation normale, lui, Nils, avec James ? Ce dernier n’arrivait pas à en croire ses oreilles. Mais hey, pourquoi pas ? Peut-être qu’ils pouvaient faire semblant d’avoir un moment normal. Un moment de gens qui se connaissent depuis des années et qui se retrouvent... Ouais non, il n’y croyait pas non plus.
Quitte à faire les choses bien, autant les faire jusqu’au bout non ? Donc bon, oublier d’acheter à boire, vraiment, par cette chaleur... Tss. Mais bon, il ne pouvait pas être aussi doué que le Hans, le majordome chez ses parents. Il l’en excusait, ce n’était pas un travail facile au vu du peu de neurones qu’il semble posséder. “Alors pour te répondre... Ma matinée se déroulait plutôt bien.” Jusqu’à ton apparition. Mais gardons encore un peu de courtoisie entre nous. “Je dirais suffisamment longtemps pour connaitre bien les alentours... Mais apparemment pas assez puisque je ne t’y avais jamais croisé auparavant.” Dieu m’en a préservé, semble-t-il. “Et toi ? Depuis combien de temps tu t'amuse à écouter les déblatérations des couples désespérés de cette ville ?” Surtout quand on sait que le tien n’a pas fonctionné. Oui, j’ai fait mes petites recherches sur toi Nils. Quelle triste vie.