Golden Days. (ft. Tallula)

@Tallula Sergueïeva

Décembre 75

« Neddy chéri, il faut absolument que tu voies la robe que j’ai vu en vitrine, l’autre jour ! Elle est somptuuuuueuse. ». La tartine de pain grillée s’effrite entre tes doigts. L’insupportable voix de ta nouvelle belle mère aurait pu briser les verres et fissurer la porcelaine mais elle n’avait pas épargner ta patience légendaire. Cela devait faire bien quelques semaines que tu supportais avec tous les efforts du monde ses dépenses excessives, toujours plus extravagantes et les unes que les autres, ainsi que la bêtise plus qu’évidente de ses deux imbéciles de fils, Asher et Allan. Regarde les. Avec leurs shorts de sport ridiculement petits et leurs polos tâchés de confiture. Et cette façon de dévorer les scones comme un prédateur le ferait avec un morceau de chair fraîche. Ça t’écoeure de bon matin et tu n’a d’autres choix que de quitter la table en grommelant. « J’y vais, je vais être en retard. »

Les jours se ressemblent tous, la cour lévite autour du Prince sans jamais un pas de travers, il t’arrive parfois d’avoir l’impression de côtoyer des marionnettes. Les seuls sons qui sortent de leurs bouches ressemblent à des grincements de rouages familiers, amas de compliments et histoires réchauffées, quelques commérages pour relever le tout sans vraiment y parvenir. Mais tu ne peux pas te plaindre parce que tu as ta propre mécanique. Roi Soleil, tes sourires, parfois sincères, parfois non, tirent sur tes lèvres jusqu’à ce que tu aies mal aux joues, simplement pour contenter le peuple. Et ce constant questionnement sur tes intentions réelles, es-tu le souverain aimant que tu prétends être ? Ou es-tu un assemblage de ferrailles brillantes programmé pour être aimé ? Tes actions sont-elle le fruit de tes propres décisions ou simplement du profit que tu peux en tirer ? ((A quel point es-tu mauvais, Logan ?))

Les couloirs du lycée, empire des casiers, arène des classes sociales, lieu sous-estimé dans cette lutte de popularité saugrenue. C’était l’endroit pour se faire voir, il suffisait que tu passes pour que les autres s’inclinent, tu répondais aux courbettes par un attitude solaire et tout le système fonctionnait comme une traînée de satellites. « King, on s’voit au match cet aprem ! ». « Compte sur moi ! ». Echange de regards complices, tape amicale dans le dos, tes yeux qui perdent le compte des visages qui passent dans ton champ de vision. « Bonjour, Logan. ». « Hey, The King ! ». « Coucou, toi. ». Un sourire. Encore un. Et encore un. Et toujours plus de sourires. Tes joues en saignaient presque. ((T’es fatigué.))
Puis un moment de flottement.

T’as les pupilles qui se dilatent quand tu la voies. Reine de l’ombre, ses cheveux de feu ne passent pourtant pas inaperçus dans les recoins des allées. Mèches chaudes qui encadrent son visage fin, tu pourrais te perdre dans la contemplation de ses traits, le tracé de sa mâchoire, l’ondulation délicate de ses lèvres, la couleur saisissante de ses yeux. Secrètement, tu rêvais d’embrasser chaque tâche qui décorait ses joues et terminer par sa bouche rosée. ((Tu t’égares)). Tu n’écoutes plus vraiment ce que les autres baragouinent, tu te contentes de jeter quelques regards discret vers la silhouette timide sans oser la rejoindre. C’est à se demander comment LE Logan King, garçon doré de ce lycée, puisse être intimidé par l’idée d’aborder une demoiselle. Ce n’est qu’une question de timing. Et comme un signe du destin, son livre lui échappe des mains et tu es déjà là pour le ramasser. Et cette fois, ton sourire ne te fait même pas mal aux joues. « Salut, Tallula. ».  

Demain je veux que vous soyez la au repas, pas d'excuses. Compris Abram ?
La voix pesante de ton père pendant que tu termine ton petit déjeuner, tes frères qui grommèlent dans leur barbe pendant que tu tourne la cuillère dans ton thé, toujours trop chaud. Tu sais qu'il ne parle pas à toi. Tu es toujours là. Fille parfaite, au premier rang, là où on t'attend.
Tu mettras la robe que je t'ai fais monter dans ta chambre. J'ai promis que tu jouerais un morceau de piano, ou de violon. Quelque chose. Impressionne moi
Le mouvement de ta cuillère qui s'arrête soudain, ta gorge qui se serre alors que tu relève lentement la tête pour t'opposer un instant au regard glacial de ton père. A côté de toi Kazimir pose sa main sur ton genoux, comme une pression rassurante, pour t'encourager. Ne baisse pas la tête. Tiens toi droite. Sois fière.
Да папа (( oui papa ))
Le sourire sur tes lèvres rosées, avant de porter la tasse à tes lèvres, la brulure du thé sur ta langue, qui remplace tout le reste. Tu sais que tu vas détester la robe. Tu sais que tu vas te rendre malade à répéter le morceau de musique. Tu sais que tu vas juste passer une sale journée. tu le sais.

Je vais être en retard, à ce soir
Te relever, abandonner ton reste de petit-déjeuner avant de déposer un léger baiser sur la joue de Kazimir, un échange de sourire avec Abram et un hochement de tête pour ton père. Remonter les escaliers en vitesse pour finir de te préparer, attraper ton sac et ton lecteur cassette, filer vers le lycée à vélo en pédalant le plus vite possible.
10 mètres
20 mètres
30 mètres
...
T'as le poids sur tes épaules qui se soulage soudain, quand tu quitte le quartier familiale, quand les rues changent, quand les visages ne sont soudain plus les mêmes. Parfois tu t'imagine ce que ça serait, ailleurs, tu te prends à imaginer. Mais pas le temps de rêvasser trop longtemps, tu pédale un peu plus vite, pour arriver juste à temps au lycée, les cheveux en pagaille, le rouge aux joues, le souffle un peu court. Pas le temps de voir où tu vas, tu voulais passer récupérer une partition auprès du professeur de musique mais surement que tu n'en auras pas le temps, emmêlée entre ta veste, tes livres, tes cahiers et ta fatigue, tu te mélange un peu tout, un de tes livres (( Stormbringer de Moorcock )) qui décide de s'échapper de la pile pour finir au sol.
Merde
que tu marmonne, déjà prête à te baisser pour le ramasser.
Mais tu n'as pas le temps.

Salut, Tallula
Le coeur qui manque un battement, tu tends la main pour attraper ton livre, tes joues déjà trop rouges qui surement virent au cramoisie.
Je. Salut ?
Très smooth tout ça Tallula. Salut ? Et puis quoi encore.
Je veux dire merci.
Oui voila. c'est déjà mieux.
Logan
Non là maintenant c'est vraiment bizarre.
Pardon
Que tu finis par bafouiller, le regard rivé sur tes pieds.
Tu n'as pas l'habitude qu'on te remarque. C'est toujours tes amies plutôt que toi, du genre silencieuse et discrète, pas vraiment à vouloir la lumière des projecteurs. T'es bien dans ton ombre, être normale, juste banale, passer inaperçue. Alors quand Logan connais ton prénom, tu te demande s'il n'y a pas une erreur quelque part, si tu n'es pas soudain tombée dans un film un peu trop cliché à l'eau de rose, ce genre de choses qui te fait rigoler (( qui te fait aussi un peu rêver )). Essayer de redresser la tête, affronter son sourire solaire, les fossettes creusées sur le coin de ses lèvres, et puis la lumière qui pétille dans ses pupilles.
Si différent.
Trop différent.
T'as mal au coeur et des papillon dans le ventre, paradoxe ambulant.

La vie au lycée s'orchestre comme un bal des débutantes. Les demoiselles paradent dans leurs plus belles parures en espérant capter ton attention. La bouche colorée, recouverte de cette matière gluante pailletée, les cils interminables, virevoltant au rythme des paupières poudrées, mobiles, la jupe un peu plu courte, le buste un peu plus dénudé, certaines se contentent de techniques classiques, d’autres vont plus loin en étalant leurs savoirs comme des trophées en espérant t’impressionner. Tu mentirais si tu affirmais que certaines n’avaient pas réussi à capturer ton corps, mais cela ne durait jamais longtemps, et ton palpitant quant à lui restait bien à l’abris dans sa cage doré. ((Coeur de Prince.))

Tallula Sergueïeva. Princesse du Royaume de l’ombre, vous ne faisiez définitivement pas partie du même monde. Tu vivais dans la lumière, l’attention, tu te baignais dans l’admiration infini de ta cour, tu te nourrissais de leurs espoirs, leurs illusions, des étincelles qui inondaient leurs regards quand ils posaient leurs yeux sur l’image du seigneur solaire qu’ils avaient de toi. Tu ne pouvais pas les blâmer, après tout. C’était le but du jeu. La mécanique avait été pensé pour que tu en sois la pièce maîtresse. Tu ne pouvais tout simplement pas te défiler.

Pourtant, quand tu la regardais, nageant dans cette discrétion légendaire, le regard fuyant et les gestes parasites qui s'entortillent autour de ses doigts nerveux, tu as l’impression que quelque chose ne va pas. Tu la regardes, encore et toujours du coin de l’oeil, et tu te dis qu’elle a la présence d’une Reine. Un charisme qu’elle ne semble pas soupçonner, une aura royale qui se cache bien profondément en elle. Tu n’as qu’une envie, gratter cette couche timide qui étouffe son véritable potentiel. ((Montre-toi, Tallula.))

Ses maladresses t’arrachent un sourire attendri, tes yeux s’égarent sur la couverture du livre. La couverture te fait hausser un sourcil, le titre t’est familier sans que tu ne parviennes à mettre le doigt dessus. Tu rends ses affaires à Tallula, ton attention se reporte sur son visage délicat. ((Tellement Belle.)). Un souffle amusé t’échappe, tu lui offres un sourire lumineux en retour. « Ce n’est rien, ne t’excuses pas, voyons. ». Fais attention Logan. La frontière est mince entre le rôle du bon seigneur et le vrai visage du prince fier. « Il me dit quelque chose, ce bouquin. C’est quoi ? ».

Tu avais toujours été doué pour faire la conversation. C’était quelque chose qui te venait naturellement. Les mots t’apparaisaient en averse, délicate et rafraîchissante, tes lèvres étaient couvertes d’or et ta voix ferait fondre du cristal. Pourtant, devant elle, tu es nerveux. Même si tu n’en as pas l’air, il y a quelque chose chez elle qui te rend nerveux. Tu ne veux pas paraître condescendant, ni stupide, tu veux simplement en savoir plus sur elle. Tu veux la connaître, la découvrir. Tu veux plonger dans le Royaume de l’ombre. ((La Lumière et L'obscurité.))