Every time you're gone. (ft. Samir)

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Les sirènes d’ambulance résonnent encore entre tes oreilles. Et le sang, tellement de sang. Sur tes gants, sur tes cuisses, sur tes vêtements, sur le sol. Partout. Partout. La foule, les cris. Les gens se bousculent, se cognent entre eux, se piétinent sans vergogne. La lame qui s’enfonce dans ta peau, ton souffle qui reste en suspens, la douleur qui te saisit soudainement. Une lumière. Puis plus rien. Tout est flou, seules des bribes d’images se glissent dans tes rêves sombres. ((Un sursaut.))

Ta respiration saccadée résonne encore dans la chambre vide. L’obscurité agresse tes yeux, tu mets un instant avant de te rappeler où tu te trouves. La matière feutrée de robe médicale sert de rappel, un long soupir t’échappe. Tu écartes le drap pour dévoiler ta cuisse bandée, engourdie par la blessure. Ton pied se dépose délicatement sur le sol, l’autre le suit timidement, une main s’agrippe à ta béquille, l’autre à la perfusion à roulettes. Tu titubes un peu, tu manques presque de tomber mais tu te raccroches à tes soutiens de fer. Quelques pas, juste pour te dégourdir. Quelques pas, juste pour respirer. Quelques pas, juste pour le voir.

Les couloirs sont déserts, à cette heure de la nuit. Tu rases les murs, le grincement des petites roues te trahit à peine. Deux infirmières papotent en marchant tranquillement, tu te caches derrière une intersection, le temps qu’elle passe. Tu n’étais pas du genre fugueuse ou rebelle. Mais voir Bruce était la seule façon de t’occuper l’esprit, d’apaiser ton coeur. ((Voir qu’il respire toujours)). Tu t’inquiètes. ((Tu ne voulais pas être une meurtrière.))

Tu avais l’espoir. L’espoir que tes mains fonctionnent comme tu l’entendais. Et tu le sentais, au fond de toi, que les choses commençaient à évoluer. Que tu avais plus de contrôle que cet après-midi torride où Bruce a sombrer dans ce sommeil interminable. Quelque part, tu savais que tu pouvais le sauver. Tu en es capable.

Un coup d’oeil à gauche, un coup d’oeil à droite, tu pénètres la chambre à pas de loup, refermes la porte derrière toi. Ton regard dessine sa silhouette sous le faible éclairage, tu t’approches en boitant avant de t’asseoir sur un coin du lit. « Bonsoir, Brucie. Pardon de ne pas être venue plus tôt. ». Ta main glisse sur sa peau. Avec le temps, c’était devenu plus facile de retenir la chaleur. Il fallait juste que tu restes concentrée. Tu la retires. « On dirait que le karma s’abat sur moi. Mais ne t’inquiète pas. On va s’en sortir, tous les deux. ». Tu te penches pour embrasser sa joue, ta cuisse te relance. « Je te le promets. D’accord ? »

Quelque chose a changé. Comme un signe du destin qui avait frappé, ce 4 juillet. Et tu n’arrives plus à regarder ton fiancé avec des coeurs dans les yeux. Tu n’arrives plus à pleurer quand tu voies sa peau légèrement rosée. Tu ne sens plus ton myocarde se serrer. Tu as juste envie qu’il se réveille. Pour en avoir le coeur net. ((Quelque chose a changé.))

Il est temps de se concentrer. Ta main s’avance une seconde fois, tes doigts se mêlent aux siens, tu prends une grande inspiration. ((Donne-moi ta chaleur.)). Tu ne regardes plus que son visage. ((Juste un petit peu.)) Tu peux le faire, Keira. ((Juste un degré ou deux.)).

La porte grince, tu sursautes, vos paumes se délient brusquement, le rouge te monte aux joues en même temps qu’une migraine nerveuse. Et tu te souviens pourquoi tu ne jouais jamais les rebelles. ((Tu n’aimais pas te faire gronder.))

T'es pas l'infirmier le plus stricte de tout l'hopital, mais tu as appris après plusieurs semaines à te faire marcher sur les pieds qu'il était plus que nécessaire que tu fasses les gros yeux de temps en temps. Tu n'étais pas très doué pour ça mais hey, tu faisais des efforts chaque jour, pour être un meilleur infirmier, pour être un meilleur Homme.
Tu fais le tour, parce que c'est ton boulot. Le sourire léger aux lèvres, tu essayes de faire sourire les autres, mais ce n'est pas toujours une réussite. Un jour, tu arriveras à faire rire Nancy, la jeune femme qui semble toujours au bord des larmes ou au bord d'une bonne grosse crise de nerfs. Elle te fait un peu peur, quand elle commence à piquer ses crises de colère, mais tu te dis que c'est pas grave, qu'elle mérite quand même un sourire quand tu la croises, même au milieu de la nuit. Vous avez tous besoin de courage en ce moment, après les météorites et le massacre du 4 juillets ; en plus de l'ambiance générale dans la ville.

Tu dois vérifier un patient dans un coma, c'est à ton tour de t'occuper de lui. Et c'est pas parce qu'il ne peut pas te voir que tu ne vas pas lui sourire, que tu ne le traiteras pas avec cette immense gentillesse qui coule par tous les pores de ta peau.
Sauf qu'il est pas seul. Tu reconnais Keira. Et tu sais que ce n'est pas la première fois que vous la surprenez ici. Avec tous les efforts du monde, tu fronces le nez, fronces les sourcils, pour essayer de paraître faché. C'est toujours pas une réussite. "Madame Logan, ce n'est pas votre chambre." ton amusement transparaît dans ta voix et c'est pas du tout une bonne chose. Parce que c'est drôle ; Keira ne fait rien de mal, juste des visites nocturnes. Tu ne veux même pas vraiment la chasser de là, pas si elle va bien. "Vous devez vous reposer, et dans votre chambre." un petit sourire plus tard, tu décides que hey, si elle est là, tu peux bien faire les deux en même temps. "Je vous raccompagne dans votre chambre une fois que j'ai terminé avec Bruce, d'accord ?" ce n'est pas réellement une question mais tu ne peux pas t'en empêcher. Ta gentillesse, encore une fois.

La porte grince et c’est la silhouette gigantesque du doux infirmier qui comble tout l’encadrement. Tes grands yeux le dévorent, ta voix se perd dans ta gorge, tu lui offres la moue la plus adorable qui soit. « Samir. Ne soyez pas fâché, pardon. ». Tu tires la béquille vers toi, boîte jusqu’à un fauteuil, au fond de la pièce, pour laisser le jeune homme faire son travail. Il fallait croire que tu avais un peu de chance, tu étais tombée sur la douceur du service. Le bel égyptien au sourire d’enfant. ((Il te ferait presque rougir.))

« Je sais que je dois rester dans ma chambre mais j’ai fait un cauchemar et j’avais besoin d’en parler à quelqu’un. ». Tu n’avais plus envie que la culpabilité dirige ta vie. Le chaos du 4 juillet t’avait bien ouvert les yeux sur une chose : Tu ne pouvais pas laisser le passé diriger ta vie. Il fallait avancer, encore et toujours, sans jamais perdre de vue tes objectifs. Tu avais assez pleurer. Il était temps de te relever.

Enfin, de manière métaphorique car pour le moment, tu ne pouvais pas faire grand chose avec cette jambe blessée. Fort heureusement, ce n’était pas si grave que tu l’aurais cru. ((Le couteau dans ta cuisse.)). Ce n’est pas comme si tu avais eut peur. ((Le sang sur tes vêtements.)). Tout était sous contrôle. ((Le chaos.))

Le faible éclairage dessine les contours de sa longue silhouette, tu regardes Samir d’un air rêveur. Sous tes gants, la bague de fiançailles te gêne. « Dîtes-moi, Samir, je peux vous poser une question indiscrète ? ». Tu ne savais pas si c’était la succession d’événements traumatisants ou simplement l’effet des calmants, mais tu te sentais d’humeur bavarde, ce soir.

Elle attends son aval, les prunelles perdues dans la courbes de ses boucles espiègles, elles s’écrasent finalement sur le visage éteint de Bruce. « Vous avez déjà été amoureux de plusieurs personnes à la fois ? ». Et tu te perds. Tes joues brûlent. Le visage de la Reine des Glaces t’apparait soudainement. Tu le chasses un geste de la main. « Je suis désolée, c’est une question idiote. »

Keira, c'est l'une des seules qui t'appelle par ton nom entier. Ca te fait toujours étrange mais ça te fait aussi sourire. Parce que même si t'es présenté comme Sam, quand elle a apprit que c'était pas ton nom, mais simplement un surnom, elle a commencé à t'appeler Samir. C'est bizarre, à tes oreilles, et c'est en même temps un soulagement. C'est un joli nom, même si tu as parfois l'impression qu'il n'est pas le tient ; sauf quand tu es avec Keira, Elle prend toujours un peu de son temps pour te rappeler que Samir, c'est toi.
Alors que tu t'occupes du patient, de Bruce, tu l'écoutes. Elle va s'installer sur la chaise et c'est une excellente chose, tu l'aurais forcé quoi qu'il arrive. Le silence couvre la pièce d'un voile rassurant et juste, tu fais ton boulot, avec une passion et un entrain incroyables malgré l'heure.
Elle te demande si elle peut te poser une question indiscrète et distraitement tu hoches la tête, sans t'inquiéter. Il n'y a rien d'indiscret, pas vraiment, parce que tu n'es pas gêné de parler de ta vie et de tes convictions. Tu ne les forceras jamais sur personne d'autre alors ça ne change rien pour toi.

La question te surprend un peu, parce que tu ne t'attendais pas vraiment à ça, et tu réfléchis. Ta première réaction est de te demander si c'est normal, si c'est une bonne chose, d'aimer plusieurs personnes ; ta seconde réaction est de prendre une grande inspiration. Tu n'es personne pour juger si c'est normal et tu es personne pour juger si c'est mal ou bien. Alors tu réfléchis. Tu n'es même pas certain d'être tombé amoureux une fois dans ta vie alors tu ne sais pas quoi lui répondre. "Ce n'est pas idiot." tu essayes de la rassurer comme tu peux, alors que tu te retournes vers elle, te remettant droit. Tu dois te plier, pour arriver à prendre soin des patients, grande perche que tu es. Et tu devras aussi te plier pour la regarder. "Je ne pense pas que c'est le cas." tu lui réponds tout doucement. "Je ne suis pas souvent tombé amoureux, malheureusement." parce que l'amour c'est beau, l'amour c'est innocent et que malgré tout, l'amour rend bon, parfois.  
Tu t'installes à côté d'elle, sur un autre siège, que tu tires. Tu étends tes longues jambes devant toi, serres tes mains entre elles. "C'est votre cas, Keira ?" Tu ne la jugeras pas, bien sûr que non. Mais tu es curieux, maintenant. "C'est Bruce, c'est ça ? Mais qui est la seconde personne ? Et la troisième ?" si ta voix est douce, ton sourire l'est encore plus.

Il y avait quelque chose chez Samir qui te donnait envie de lui confier ta vie toute entière. Tu n’étais pas très secrète mais tu avais pris l’habitude de favoriser l’écoute à la parole -par déformation professionnelle, sans doute. Il dégageait une aura rassurante, comme une douce lumière qui réchauffait la peau en douceur, une délicate source de chaleur semblable à celle d’une cheminée en plein hiver. Et parfois, tu t’amusais à penser que si tu n’avais été aspirée par cette spirale sentimentale qui bouleversait ses émotions depuis le comas de Bruce, tu serais probablement tombée sous le charme de son beau sourire solaire.

Ton regard suit la silhouette de l’infirmier, observe ses expressions, crispées un premier temps, plus détendues ensuite. Tu le fixes avec tes grands yeux luisants, comme si tu voyais son raisonnement se dessiner sur son visage. Lorsqu’il s’approche, tu te redresses légèrement, élève le menton pour capter ses prunelles, suit le mouvement de ses jambes qui s’étendent lorsqu’il prend place à tes côtés. Tu affiches une moue morose devant les aveux du garçon. « Tomber amoureux, c’est quelque chose d’unique. ». Un sourire se dessine sur tes lèvres, il creuse des fossettes dans tes joues. « C’est quelque chose de doux-amer, quelque chose qui saisit vos tripes, les tord dans les sens pour en faire des millions de petites étoiles. C’est beau, c’est saisissant même ! Mais c’est aussi triste et mélancolique quand on y pense. ». Tes yeux se perdent sur le cadavre vivant, encore chaud de Bruce. Un soupire t’échappe. « Et pendant très longtemps, j’ai cru que c’est tout ce que j’avais. L’amour. »

Un silence scelle tes lèvres, la question de Samir plane dans l’air sans trouver de réponse sur ta langue. Ton sourire faiblit, tes épaules s'affaissent, tu ne sais pas vraiment quoi penser. « Vous savez, mon père dit souvent que je lui rappelle ma mère. Il m’a raconté qu’elle venait d’une communauté de beatnik des années 50. C’était un esprit libre et parfois, je me dis que c’est pour ça qu’elle nous a laissé, mon frère et moi. Elle devait se sentir trop à l’étroit dans cette société tirée à quatre épingles. ». Tu ne pensais jamais à ta mère. Tu avais beau être un concentré de gentillesse et d’attention envers les autres, son départ avait emporté avec elle toutes traces de son existence dans son esprit. « Je me sens comme ça, parfois. Enfermée dans des conventions sociales. On se moquait de moi quand j’étais petite à cause de ma couleur de peau, du coup je redoublais d’effort pour être irréprochable. Il semblerait que c’était ma destinée de ne pas pouvoir rentrer dans ce moule. ».

Tes yeux brillent dans l’obscurité de cette chambre d’hôpital, la chaleur de la confidence réchauffe ton petit coeur incertain. Tu poursuis. « J’étais très amoureux de Bruce il y a quelques mois encore. Et quand j’aime, j’aime à la folie. Je m’efface, je me donne toute entière, je n’existe plus. ». Ta bague brûle autour de ton doigt, son visage fermé semble te juger en silence. « Bruce et moi, on se complète autant qu’on se détruit. Mais j’ai changé. Je ne suis plus la même qu’avant. Et je pense que mes sentiments aussi. ». Tu tires sur ton gant, découvre l’anneau étincelant, comme si l’air été capable de calmer son emprise. « Je sais que quelque part, je serais toujours un peu amoureuse de lui. Mais j’ai quelqu’un d’autre qui occupe mes pensées et ... ». Cette fois, ton regard le fuit. Tu sais bien que Samir serait le dernier à juger mais la peur s’accroche quand même à ta gorge. « … C’est … C’est une femme. ». ((L’impératrice des Glaces a capturé ton coeur de braise.))

Tu l'écoutes, le plus calmement du monde. Tu sais que Keira, elle a l'habitude d'écouter ; c'est son boulot, après tout. Alors quand elle ouvre la bouche, parle d'elle, tu tends l'oreille pour ne rien manquer, ne râter aucune information. Elle est belle Keira, même comme ça, sur son siège, l'air fatigué, les fossettes qui creusent ses joues.
Et tu comprends ce qu'elle raconte, surement bien plus qu'elle le pense. Tu as passé ta vie à te forcer dans un moule qui n'était pas à ta taille. Des années à tailler dans ton coeur pour qu'il prenne une forme bien particulière, une forme que l'Eglise voulait, mais pas toi. Quelques mois pour désapprendre ce qu'on t'a rentré dans le crâne à grands coups, à force de sang qui coule sur ta peau apparemment trop dorée. Personne n'a jamais pensé que tu étais façonné d'or, à l'Eglise ; créé à partir de la pire crasse qu'ils disaient sans honte.
Tu voulais aimer, tout le monde, un maximum. Parce que le corps n'est qu'une enveloppe qui cache une âme ; lumineuse, brillante, chaleureuse, chez absolument tout le monde. Il faut juste apprendre comment l'attraper, cette âme ; la prendre par le bon bout, la caresser dans le sens du poil. Des années, à croire qu'aimer le même corps est une mauvaise chose ; des années, à te dire que tu ne pouvais pas aimer les hommes à cause de cette traîtresse d'enveloppe. Et pourtant, tu les as aimé, les hommes. Malgré les sermons, malgré les regards, ça n'a jamais changé. Des semaines à chercher la réponse dans les livres saints, pour comprendre ce qui pouvait bien être cassé en toi, en plus de ta peau.

Pourtant tu as bien été façonné avec de l'or, Dieu t'aimes comme tu es et tu devrais en faire de même. Parce que Keira a raison, l'amour, c'est quelque chose d'unique, de doux-amer ; même quand cet amour, il vient de toi.

Tu refuses de l'interrompre parce que sa voix te détend un peu trop. Tu devrais travailler. Tu n'es pas payé pour rien faire. Mais tu te dis, que quelque part, tu fais ton boulot en écoutant les confidences d'une patiente qui avait terriblement envie de parler.
Elle en a, du courage. Bien plus que tu en auras jamais, surement. Elle t'avoue aimer une femme et même si elle hésite, il n'y a pas de doutes dans ses mots. Tu ne la jugeras pas ; comment peux-tu la juger quand ce qui te rapproche le plus de l'amour est un garçon, des grands yeux bleus qui se lèvent sur toi, un sourire, un nom sur tes lèvres avec ton léger accent d'enfant 'Irram.
Tu la laisses reprendre son souffle avant de lui sourire. Tu essayes de lui faire comprendre qu'elle n'a rien à craindre. "Les femmes sont vraiment magnifiques, je vous comprends." tu hoches la tête très sérieusement. Parce que si tu as aimé un homme, tu as aussi aimé des femmes. "Je ne pense pas qu'on tombe amoureux d'un corps..." tu hésites une seconde, peut-être que tu es le seul de la planète à penser comme ça. "On tombe amoureux d'une âme, d'après moi." tu hausses tes grandes épaules, ton sourire toujours en place. Tu fais une petite pause, cherchant tes paroles. "Si Bruce se réveille, maintenant. Est-ce que vous pourrez le regarder dans les yeux et lui dire 'je t'aime' sans lui mentir ?" tu essayes de l'aider, ta voix tente de la guider doucement. Tu rigoles légèrement. "Croyez moi, je connais les chaines. Elles ne sont jamais bonnes. Être irréprochable... Ce n'est pas possible. Parce nous sommes humains et que l'erreur est humaine. Quoi que, vous connaissant un peu, je pense que vous devez être une Sainte." Parce que tu ne sais pas, innocent, que Bruce est sur ce lit dans un sommeil trop proche de la mort par sa faute. Si tu le savais... ça ne changerait pas grand chose à ta vision. Sainte à tes yeux, Keira est fait d'un or encore un peu plus pur. "Parlez moi de cette femme. Est-elle gentille ? Bonne avec les autres ?"

Toute sa vie, on t’avait appris à aimer les hommes. C’était toujours le prince qui venait secourir la princesse, le petit garçon qui tenait la main de la petite fille, Papa qui demandait Maman en mariage. Et tout semblait couler de source, pas de questions, pas de réflexion, pas d’alternative, c’était juste “comme ça”. Tu ne savais même pas que c’était possible pour une femme d’aimer autre chose qu’un homme jusqu’à l’aube de tes quatorze ans. C’était un après-midi comme les autres, à la bibliothèque. Fin de journée, les allées étaient quasi-désertes, tes devoirs étaient fait depuis longtemps, tu restais simplement pour profiter des lectures qu’offrait la section littérature. Claudine à l’école. Le titre simplet du livre t’avait attiré, comme une curiosité enfantine, tu avais rapidement enchaîné sur les autres tomes de la série littéraire de Colette. Tu voyais le personnage de Claudine grandir, se découvrir et finalement, tout naturellement, tomber amoureuse, d’un homme, puis d’une femme. Honteuse, tu avais eut l’impression de faire quelque chose de mal et tu pris la décision d’arrêter ta lecture. Pourtant, le lendemain, tu revins, à pas de loup, pour reprendre le fil de l’histoire avec une curiosité timide. C’était devenu ton petit secret, un jardin que tu cultivais loin des regards concernés de ton père, loin de l’attitude désinvolte de ton frère, loin des fantaisies de tes amies de passage. Un truc à toi, juste pour toi, comme si tu n’étais pas la même dans ce petit univers coupé de tout.  Et voilà que les chemins entre ton fantasme et ta réalité se sont réunis. ((Le Destin.))

Quelque part, tu espères que Bruce, plongé dans un royaume d’abysses, entends tes confidences de ce soir. Qu’au fond, il saura comprendre ta situation, qu’il saura te laisser partir. Il y a entre vous cette dépendance malsaine qui fait que, malgré ses infidélités, malgré tes insécurités, vous ne vous êtes pas séparés. Car il pense avoir besoin de toi autant que tu pensais avoir besoin de lui. Ce n’était qu’un échange, une équivalence, un contrat établi entre vous qui ne devait jamais prendre fin. Et tu redoutais autant que tu attendais son réveil. Pour mettre fin à cette mascarade. Tu ne pouvais plus jouer à ce jeu, le chat et la souris, constamment à se fuir et se retrouver, dans une danse mécanique qui transperçait vos articulations. Tu l’as aimé, tu espères que lui aussi. Mais maintenant, c’est terminé.

Un sourire retrousse timidement tes lèvres. « C’est beau ce que vous dîtes, Samir. ». Une fois de plus, le garçon fait preuve d’une patience sage, il t’écoute, te répond avec toute la sincérité dont il dispose, sans te brusquer. Mais sa question t’arrache une moue incertaine, tu baisses les yeux un instant, ils vagabondent un instant dans la chambre, passe de Samir à Bruce. « Eh bien, je-euh … Je ne sais pas ? Je pense ? Mais- … Je l’aime, mais c’est juste que-hum. Je ne l’aime plus de la même façon. ». Tu y penses parfois, à la manière dont tu perçois l’amour. Si tu voyais ça comme une liberté, une paire d’ailes qui permet de t’envoyer loin, avec Bruce, il s'apparente souvent à un engagement, comme si tes poings étaient liés.  « Je ne suis pas une Sainte, malheureusement. Je pense que, à ma façon, j’ai fait autant de mal et de bien à Bruce que lui m’en a fait. Avec du recul, je me rend compte qu’on ne faisait qu’alimenter nos propres dépendances l’un envers l’autre. Et ce n’est pas ce que je veux. Ni pour lui, ni pour moi. ». Un soupire t’échappe, tu te mets finalement à sourire, l’air ailleurs. « Je lui dois tellement, pourtant. Il me manque, à sa façon. ». Même s’il n’est plus le centre de ton monde, il garde une place dans ton coeur.

Alors que Samir laisse aller sa curiosité, le rouge te monte aux joues. Tes pensées s’évadent, tu replies ta jambe saine contre toi, appuie sa tête contre ton genou. « Eh bien … Elle est gentille, oui. Mais elle ne veut pas le montrer. J’ai parfois l’impression qu’elle cherche à prouver qu’elle peut tout maîtriser, même si ce n’est pas le cas. Elle se mets la pression, je le vois bien, dans ses yeux. Pourtant, elle n’hésite jamais à tendre la main. Elle m’a tendu la main, à moi, sans me demander quoi que ce soit, de manière totalement naturelle. ». T’as les yeux qui pétillent sans même t’en rendre compte. « Et son sourire ! Je ne l’ai pas souvent vu sourire et pourtant, je sais que je ne me lasserai pas de le redécouvrir, sous toutes ses formes. Hum. Enfin bref. ». ((Tu es déjà accro.)). Un rire nerveux t’échappe. « Je ne pense pas que je l’intéresse de toutes façons, haha. ».