Two lovers in this mystic dream. (ft. Neide)

24/03/2020

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Ce matin, en te regardant dans le miroir, tu ne t’es pas reconnue. Un brin de folie, une étincelle, tu n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Ça t’a traversé, juste comme ça, une pulsion, les lames des ciseaux de sont embrassées dans une étreinte tranchante. ((Tu veux changer.))

Le lendemain de cet appel nocturne, tu t’étais réveillée avec ce poids insupportable de la honte et de la gueule de bois qui pesait sur l'entièreté de ton corps. Les bribes de conversations étaient revenues petit à petit, si bien que tu avais fini par hurler dans ton oreiller comme une adolescente en crise. Une note laissée sur un post-it près de ta table de chevet avait fini par t’achever :

« Coucou Keira du futur !
N’oublie pas ton rendez-vous avec Neide, ce vendredi soir.
C’est toi qui organise, fais pas trop de bêtises !!
Bisous
Drunk Kiki.
P.S : Mets de jolis sous-vêtements hihi. ».

Jamais tu ne te serais cru capable d’aborder une femme comme Neide Almeida comme tu as pu le faire ce soir-là. Quand bien même tes lèvres étaient imbibées d’alcool et tes phrases parfois un peu trop décousues, rien de ce que tu avais dit n’était faux. Le premier pas a été fait et c’était bel et bien le tien. Tu ne voulais pas revenir en arrière.

Mais Keira, comment on séduit les femmes ? C’est vrai, ça. Depuis le temps que tu étais avec Bruce, et même avant, tu n’avais jamais fait la première approche. Tu t’étais laissée aborder à chaque fois, par peur du rejet. Seuls tes rares moments d’ivresse avaient donné lieu à une assurance que tu avais toujours du mal à formuler sobre. Qu’est-ce que tu allais porter ? Tu ne pouvais pas être trop habillée, ça te mettrait mal à l’aise. Mais tu ne voulais pas non plus passer inaperçue. Il y avait aussi ce risque de l’effrayer si tu étais trop entreprenante. ((Tu ne voulais pas tout gâcher.))

Un dernier coup de rouge à lèvres, une autre bougie allumée, la dernière, tu tires légèrement sur ta robe pour défaire les plis indésirables. La sonnerie de l’interphone accélère ton rythme cardiaque, tu indiques ton étage avec une petite voix. Et finalement, sa silhouette se dessine dans l’encadrement de la porte. Ta main gantée cette fois de dentelle s’échappe de tes mèches coupées courtes. « Bonsoir, Neide. Entrez, je vous en prie. ». ((Tout va bien se passer, Keira.))

09/02/2020

Cela avait été une soirée bizarre. Pourtant Neide détestait employer ce genre de mot – bizarre, étrange, cocasse, hors du commun, tout simplement car quand on lui annonçait quelque chose de prétendument surprenant, le tout pouvait être expliqué logiquement et clairement. Mais… depuis que Keira lui avait fait cette drôle de proposition, un dîner, comme si elles étaient amies, Neide n’avait pas l’impression d’y voir clair. Elle ne se posait pas des questions sur les motivations de Keira, ça, non. Keira se sentait peut-être seule, ou voulait la remercier, voire les deux qui n’étaient pas incompatibles. Ce qui intriguait Neide, c’était le manque de recul qui l’avait poussée, elle, à accepter cette proposition. Jusqu’à preuve du contraire, elle avait considéré Keira comme une patiente et ne souhaitait pas entretenir avec elle une relation plus intime. Pourtant, elle avait accepté un dîner, au domicile de la concernée, qui plus est. C’était éthiquement discutable mais de façon générale, Neide elle-même était éthiquement discutable, alors…

Avoir une vie sociale, qui impliquait d’autres acteurs que des gens franchement bizarres comme Samir, Baxter ou Jaden serait bienvenu. C’était probablement ce sentiment qui l’avait poussée à accepter, le même sentiment qui l’avait enjoint à chercher du réconfort auprès de Zelda, la barmaid du Red Club, alors qu’elles ne se connaissaient ni d’Eve, ni d’Adam. Quand Neide sort, c’est une affaire d’état. Les joues sont poudrées, les lèvres soulignées avec un rouge à lèvres mat que son frère qualifierait de vulgaire, les yeux charbonneux. Le corps n’est pas en reste, sa silhouette filiforme étant remplumée par un blazer noir aux épaules larges. Neide avait tendance à en faire des caisses et ça, ce n’était absolument pas lié à sa fréquentation du soir.

Le soir venu, Neide se dirige vers le centre-ville : tout à fait le genre d’endroit où elle souhaiterait emménager une fois son internat achevé. Elle avait choisi Phillips par praticité : son salaire d’interne n’était pas mirobolant, les deux hôpitaux étaient proches, elle connaissait son futur colocataire, facteur qu’elle regrettait presque à ce jour. Quand Neide avait emménagé à Phillips, les lieux étaient encore joyeux et pas trop mal fréquentés. Mal fréquentés étant un euphémisme. C’est une voix de souris qui lui indique l’étage et Neide raccroche. De façon routinière, elle arrange son carré avant de sonner.

- Vous avez changé de coiffure ? s’exclame-t-elle, prise au dépourvu, ne s’attendant pas une telle audace de la part de Keira.

Oh. La politesse.

- Pardon. Ça vous va très bien, mais c’est surprenant…. J’en ai oublié de vous dire bonsoir, avec ça.

S'en suivit un petit moment de flottement que même Neide, fort à l’aise socialement, était capable d’identifier comme : gênant.

- Ça sent très bon, dites-moi !

Vu l’odeur, si Keira tentait de l’empoisonner, au moins, son dernier repas serait délectable.

24/03/2020

Tu aurais presque pu rater un battement en voyant le rouge sur les lèvres pulpeuses de Neide. D’un coup, tu réalises que c’est la première fois que tu la voies dans un cadre un peu intime comme celui de ton appartement. Neide. Bien apprêtée. Dans ton appartement. Seule. Avec toi. ((Ne flippes pas.)). Tu avais sciemment proposé la soirée où ta colocataire serait absente juste pour être avec elle. Seule. ((Respire, Keira.)).

Devant la surprise évidente qui se dessine sur les traits du docteur, tes joues s’enflamment alors que tes doigts caressent les mèches courtes qui rongent ta nuque. « Ça change, n’est-ce pas ? Je crois que j’avais besoin de ça. ». Tu la regardes timidement, tes paroles se transforment presque en murmures. « De changement. ». ((Elle était ton changement.))

Tu n’avais jamais été du genre audacieuse. Toujours dans la sécurité, la stabilité, la routine. Les mêmes robes à fleurs, les mêmes petites scandales à bas talons, les mêmes tresses bien ordonnées. Jusqu’ici, tes plus grosses folies se résumaient à un gloss à lèvres et une jupe un peu trop courte. Il fallait croire que la perspective d’apercevoir les yeux écarquillés de Neide t’enchantait plus que tu ne l’aurais pensé.

Une fois la porte refermée derrière elle, tu poses délicatement tes mains sur ses épaules pour l’aider à retirer sa veste. « Laissez-moi vous débarrasser. ». Assez proche pour qu’elle puisse sentir ton parfum -mélange de vanille et de lila-, tu t’écartes pour déposer le vêtement sur le porte-manteaux. La décoration de ton appartement était assez classique, quelques cadres-photo, une photo de famille et une autre prise par ton père lorsque vous étiez enfants, Seth, Jaden, Ezra et toi, des trous dans les dents et les genoux tout égratignés. Ton diplôme accroché dans un coin du salon. C’était discret mais charmant, on s’y sentait bien.

Toute l’après-midi, tu avais boité dans ta cuisine de part en part, pour préparer un dîner convenable. Tu étais bonne cuisinière, là n’était pas le problème. Mais tu avais passé le plus clair de ton temps à te demander si Neide était allergique, végétarienne, s’il y avait des aliments qu’elle ne mangeait pas, ce genre de chose. « Je ne savais pas vraiment si vous aviez un régime alimentaire particulier donc j’ai fait un peu de tout. Ne vous forcez surtout pas à tout manger ! Surtout si ça ne vous plait pas, haha ! ». Ton rire chancelle légèrement, ton anxiété semble vouloir reprendre le dessus sur ta nouvelle assurance. Neide elle-même semble presque intimidée. « O-On peut passer à table tout de suite, si vous voulez ? La salle de bain est au bout du couloir, au besoin. Je reviens tout de suite ! ».

Tu t'éclipses furtivement dans la cuisine. D’un coup, tu sens les palpitations de ton coeur reprendre de plus belle. Hors de question de se faire avoir par le stress. Ce soir, tu es une nouvelle femme, ce soir, tu es une nouvelle Keira ! Tu reviens donc dans le salon, au fond, la table est déjà disposée avec quelques bougies. Entre tes mains gantées, une bouteille de vin blanc et deux verres. « Promis, ce soir, je n’abuserai pas de la boisson. ». Tu sers les deux verres, poses la bouteille sur la table et lui tends le sien. « Vous serez là pour me surveiller, cette fois. ». ((Serais-tu en train de flirter, Keira ?)).

09/02/2020

Cela faisait des lustres qu'elle ne s'était pas rendue à un dîner. Manque de temps, manque d'envie. Manque de véritables amis, bien qu'elle préfère se voiler la face sur ce point. Elle ne souffre pas de la solitude, quelques relations solides lui suffisent amplement, néanmoins, Neide voit une vie sociale pauvre comme le reflet d'un échec latent. Et elle avait toujours tout fait pour que sa vie ne soit jamais un échec. Elle avait bien changé, depuis son adolescence. A présent, Almeida se fichait de l'image que l'on pouvait avoir d'elle. Seul sa propre satisfaction comptait. Elle était égoïste par nécessité, pour se protéger.

D'après ce qu'elle avait pu deviner, Keira, malgré les quelques années de plus qu'elle avait à son actif, n'avait pas encore appris que de temps à autres, l'égoïsme voire pire, une pointe de narcissisme, avaient du bon. Peut-être qu'une coupe de cheveux était le premier pas vers cette recherche de l'indépendance dont les ressorts psychologiques étaient décortiqués avec ferveur dans les magazines féminins qu'elle pouvait feuilleter chez sa mère.

- N'y allez pas trop fort, tout de même. On se coupe les cheveux et le lendemain, on réduit son cercle d'amis de moitié, déménage, change de plan de carrière et on adopte un animal bizarre, débite t-elle sans indiquer si elle plaisantait ou non. Pour ma part, ça a été un rat, croyez-le ou non...

Malheureusement, Sacha le rat était décédé quelques mois seulement après son adoption. Un perte qui n'avait guère ému Neide.

- Euh, oui, glapit-elle, prise au dépourvu, alors que Keira la débarrasse de sa veste, geste prévenant auquel elle ne s'attendait absolument pas.

Une odeur de lilas et de vanille lui monte à la tête et Neide réalise lentement qu'il s'agit du parfum de son hôtesse. Elle s'apprête à la complimenter sur ce choix de fragrance qui, à son sens, correspond parfaitement à la personnalité discrète mais étrangement de l'autre femme, avant de se raviser. Quelque chose lui disait que ce serait bizarre, malvenu, presque. Ses yeux bruns s'écarquillent en apercevant le visage familier de Jaden, entouré de plusieurs personnes, dont une qu'elle reconnait comme étant Keira, plus jeune, peut-être plus insouciante, vu l'absence de pli contrarié entre ses yeux en amande.

- C'est marrant que vous connaissiez Jaden. Le monde est petit. C'est un sacré numéro... s'amuse t-elle en pensant à la fois où il avait débarqué chez elle couvert de plaies. L'amusement s'estompe soudainement et ça se voit certainement.

Keira file dans un recoin de l'appartement en laissant le soin à Neide de s'installer. En effet, celle-ci ne lui avait pas raconté de salades - c'était le cas de le dire ( ) - car la table était surchargée de mets divers, qui donnaient l'eau à la bouche. Elle-même n'était ni une grosse mangeuse ni une grande cuisinière, mais absolument toutes les assiettes qui jonchaient la table semblaient renfermer des paradis gustatifs et colorés. Les plats étaient délicatement éclairés par quelques bougies et Neide ne pouvait s'étonner du soin que Keira avait accordé à la décoration de cette table. Quelque part, cela ne l'étonnait pas réellement.

- Ah, oui, vous avez vraiment fait de tout ! On va faire honneur à votre cuisine, Keira, déclara t-elle avec un faux sérieux, pour cacher l'inquiétude qu'apportait dans son sillage la bouteille de vin.

Elle n'avait jamais été alcoolique, mais avait à présent peur de tout ce qui pouvait entraîner une addiction. Neide avait une politique du "ne pas donner le bâton pour se faire battre", mais elle se voyait mal refuser un verre, d'autant plus lorsqu'elle voyait l’enthousiasme avec lequel son hôtesse le remplissait. Elle lève son verre pour trinquer, avec grand sérieux, yeux dans les yeux :

- En effet. Il ne faudrait pas que j'aie à vous asperger d'eau froide avant de vous coucher, ça ferait mauvais genre, plaisante t-elle en agitant le verre aux finitions délicates. Dîtes moi, l'autre soir, on avait pas dit qu'on se tutoyait, à présent ? Vous l'avez peut-être oublié, taquine t-elle.

Ses yeux se plissent, preuve fugitive d'un amusement sincère qu'elle espère partagé.

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24/03/2020

Dans le sarcasme chaleureux de Neide se dessine des bribes de ce qu’elle a été. Tu n’en perds pas une miette, reconstitue un portrait poussiéreux de la demoiselle, les mèches qui débordent des épaules, Princesse d’un Royaume de casiers rouillés, le peuple a ses pieds. Et finalement, la traînée de cheveux qui marque le départ de la cour, la pellicule grise s’efface pour replacer ce visage bien encadré dans son carré. ((Tu veux y glisser tes mains.)). Toucher la structure d’un renouveau, laisser les ondulations fantômes mortes sous des coups de ciseaux décisifs, juste l’apprécier telle qu’elle est aujourd’hui, imaginer ce qu’elle était hier, tendre la main à celle qu’elle sera demain.

Tu te contentes de lui sourire pour seule réponse. Tu ne regrettais rien. Tu te réveillerais probablement en panique le lendemain matin, te demandant bien où était passé ta tignasse. Mais ce soir, tu avais simplement d’avoir la tête plus légère, autant au sens propre que figuré. Tu passes de nouveau une main distraite sur tes mèches courtes, sur ta nuque, tu suis du regard le corps vagabond de Neide dans ton salon. Un rire t’échappe, cristallin, presque nostalgique. « Vous connaissez Jaden aussi ? On a grandit dans le même quartier, lui et moi. Mais il était surtout proche de mon frère, Ezra. Il est parfois un peu malicieux mais c’est un gentil garçon. ». Tu en parles avec un timbre doux, ton affection pour ces éternels enfants se ressent autant aujourd’hui que dans les plis de la photo encadrée. ((Tu les aimes.))

A ton retour, tu assistes à l’émerveillement de ton invitée. L’espace d’un instant, ton cerveau se fige. Et si Neide ne buvait pas ? Tu ne lui as pas demandé, quelle idiote tu pouvais être. Et si ça la mettait mal à l’aise ? Naïvement, tu t’étais dit que peut être, ça t’aiderait à supporter la pression du rendez-vous. Tu te rends compte que ce n’était vraiment pas le genre de comportement à aborder alors, tandis que Neide saisit son verre, tu refermes la bouteille. Simplement pour être sûre de ne pas te laisser avoir par le courant inarrêtable de l’ivresse. Vous trinquez, yeux dans les yeux, tes joues se colorent discrètement d’un rose timide, tu prends une gorgée avant de glousser, honteuse. « A-Allons ! Je sais me tenir, quand même. ». La remarque qui suit ramène brusquement ta main jusqu’à tes lèvres. Tu avais l’air d’une enfant prise sur le fait. « Qu-Mais v-t-toi aussi tu me vouvoies ! C’est de l'incitation, je ne fais que suivre le courant, voilà tout. ». Tu t’exprimes avec un semblant d’aplomb, presque fière de ta magnifique excuse dont la crédibilité meurt sous ton rire amusé.

Tu reposes ton verre sur la table et tire la chaise de Neide pour qu’elle puisse s’asseoir confortablement. Tu t’installes en face, l’air étrangement détendue. Pour le moment, tu te sentais à l’aise, parfois sujette à de micro-hésitations mais dans l’ensemble, tu contrôlais la situation. Ton sourire doux retrousse de nouveau tes lèvres, tu hausses un sourcil avant de reprendre, presque malicieuse. « Un rat, vraiment ? Tu l’as toujours ? ». Tu ne peux pas retenir ta curiosité. Imaginer Neide caressant le ventre du rongeur, c’est presque attendrissant. « J'ai longtemps eut un animal de compagnie aussi : Mon frère. ». Tu ricanes. C'était rare de te voir aussi taquine avec les gens. Une de tes nombreuses facettes secrètes, on peut le dire.

09/02/2020

Elle avait toujours été gênée par le fait de découvrir l’appartement d’une personne. Ce n’était pas de la timidité ni même un manque de curiosité. Elle ignorait pourquoi cela la gênait autant. Était-ce parce qu’elle craignait de se retrouver coincée, acculée ? Comme si quelqu’un allait la séquestrer, chiante comme elle était. On la laisserait repartir au bout de dix minutes. Elle n’était pourtant pas si infernale que cela, mais il fallait croire que tout le monde ne partageait pas son humble avis personnel. Elle n’était donc pas claustrophobie ni même paranoïaque. Elle avait juste l’impression de pénétrer l’antichambre du mal personnel de chacun en s’aventurant un peu trop loin dans l’appartement d’une (presque) inconnue.

Elle n’arrivait pas à dire si elle connaissait bien Keira. Pendant ces quelques mois, elle avait eu l’impression de l’appréhender comme on envisage un dossier volumineux, un cas complexe, des hypothèses et des conjonctures. Pourtant avec son visage de fée et ses mèches hérissées, à la manière d’une reine de pique, Neide ne voyait plus vraiment l’opportunité mais la femme derrière. C’était une vision agréable et elle regrettait à présent de ne pas l’avoir remarquée avant.

- Oh que oui je le connais… et malicieux, vous êtes gentille…

Irresponsable, inconscient et bien trop cachotier à son goût : voici les divers adjectifs dont elle voulait bien affubler Jaden après qu’il ait débarqué chez elle, gravement blessé. Elle se tut, non pas par pitié pour le garçon, mais plutôt par désir de ne pas ébranler l’image sacrément innocente que Keira semblait avoir de leur ami commun. Penchée une seconde de trop vers la photo peut-être, elle se surprit à vouloir remonter le temps, ou pénétrer la photo, pour avoir une idée des rires et des paroles glissés derrière le sourire immortalisé de ces adolescents qui avaient tous bien grandi. A contrario, la vue de ce passé heureux ne lui arracha aucune forme d’auto-apitoiement nostalgique : il y a 15 ans, Neide Almeida venait à peine d’arriver aux Etats-Unis et à vrai dire, sa seule copine dans le quartier était une jeune fille un peu ronde qu’elle avait perdue de vue – ou, en lisant entre les lignes, plutôt laissée de côté lorsqu’elle était devenue plus populaire.

Retour à la table et à l’ambiance cordiale qui régnait entre les deux jeunes femmes : les verres s’entrechoquent et Neide observe le vin qui manque de déborder de son verre. Keira avait été plus que généreuse dans son dosage, elle pouvait en déduire deux choses : soit Keira était d’une nature altruiste, soit le vin était ridiculement abordable. Neide ne put s'empêcher de rire en voyant la gêne s'emparer du visage de son hôtesse, la faisant rougir jusqu'au front. Son rire était sans méchanceté.

- Eh ! Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise, après tout, je ne sais pas ce dont tu te rappelles... taquina t-elle en haussant les sourcils, comme si elle en savait plus que Keira, alors qu'honnêtement, vu l'heure avancée de la conversation, celle-ci semblait s'être déroulée à la façon d'un doux rêve, de ceux qui s'effilochent au fur et à mesure de la journée.

La conversation va de bon train, ce qui au final, n'étonne pas Neide. Même dans un cadre que celle-ci appellerait sobrement "professionnel", le contact avait été et ce de prime abord, assez facile entre les deux jeunes femmes.

- Oui, un rat… je l’avais appelé Guizmo et je l’avais dressé pour qu’il sache faire des tours… Les rats ont mauvaise presse, mais c’est très affectueux et super intelligent. Mais non, je ne l’ai plus, il s’est échappé… de toutes façons, mes colocs sont un peu flippés sur les bords, alors, je pense qu’ils n’auraient pas accepté ce brave Guizmo, soupira Neide, faussement mélancolique.

Peut-être que Samir se serait épris de l’animal, qui sait : ce garçon était plein de surprises, Neide s’en rendait compte dès qu’elle discutait avec lui. En revanche, elle connaissait l’avis de Richie sur la question : « Berk, Neide, t’as eu un rat ?? Immonde, espèce de sorcière ! ». Au tour de Keira de se moquer de ses proches. Si son frère s’entendait aussi bien avec Jaden, Neide s’attendait à un sacré numéro.

- J’aimerais pouvoir en dire autant. Mon frère est le plus âgé et il a toujours été le plus sérieux. Tu sais, quand on est le plus grand, on ne se rend pas compte de ce que c’est de devoir suivre la trace d’un élève exemplaire… mais d’un autre côté, les plus petits sont les plus gâtés…se moqua t-elle doucement en se remémorant les plaintes de Joao lorsque celui faisait que remarquer à ses parents que lui, à seize ans, n’avait pas le droit de sortir en soirée. J’imagine que Jaden et ton frère t’ont bien fait tourner en bourrique !

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24/03/2020

Il y a dans les plis cornés des photographies prisonnières sous leurs plaques de verre quelque chose de nostalgique et poignant. Les visages figés dans le temps, le filtre d’un autre temps, les souvenirs qui resurgissent sans qu’on s’y attende. Il y a dans ta vie cet étrange paradoxe entre ton envie de constamment avancer sans jamais t’attarder sur les querelles du passé et ton amour persistant pour des images gravées dans ton esprit. Le regard que tu portais sur Jaden et Seth, à qui tu léguais le même titre que ton propre frère, ne reflétait que ce fantasme d’une innocence immortelle. Et tu as beau savoir qu’ils ont grandi, qu’ils ont changé, que tu as changé aussi, certaines choses persistent.

Ce n’était pas étonnant que Neide connaisse Jaden. C’était un garçon très facile à approcher, parfois un peu vicieux mais tellement adorable que tu en venais à rapidement oublier ses mauvais côtés. Il n’y avait dans ton esprit que l’image d’un Jaden qui tends la main, les repas partagés avec sa famille, son côté un peu protecteur. Comme si, quelque part, il n’avait jamais grandi et était resté un des enfants intrépides du quartier. Le passé te manque. Ce n’était pas facile tous les jours mais Dieu sait combien les temps sont difficiles aujourd’hui. Mais la soirée n’est pas aux angoisses. ((Une gorgée pour oublier)).

Tes yeux s’égarent sur le visage de Neide, suivent le mouvement de ses lèvres pulpeuses, se perdent dans leur couleur rouge. Tu te demandes bien quel genre d’enfance elle a pu avoir. Etait-elle une enfant calme comme toi ? Recluse dans ses lectures à rêver d’un monde différent sans jamais vraiment parvenir à le visualiser entièrement. Peut être était-ce une petite princesse ? Parfaite et irréprochable, la fierté de son père, l’orgueil d’une benjamine. Ou alors, était-ce le garçon manqué, constamment fourré dans des histoires rocambolesque, à suivre les traces d’un frère qui ne réalise pas encore son rôle d’ainé ? Neide était un mystère et ta seule envie était de la décortiquer sous tous ses angles.

Le timbre malicieux de la demoiselle te fait rougir de plus belle, tu réussis à articuler un petit rire, maudissant encore ton alter-ego ivre. Si seulement tu pouvais te rappeler de la totalité de votre conversation plutôt que de simples bribes. L’avantage, c’est que si elle était venue ce soir, tu avais dû être moins embarrassante que tu le croyais. Ou peut être était-elle venue pour se moquer un peu plus de toi ? Non. Non ? « Hahaha, ne t’inquiète pas. Je me sens bien avec toi. ». Trop sincère pour en avoir honte, tu es dangereuse sans même le savoir, Keira. ((Et tu ne rougis même plus)).

Le dîner se déroule sur le rythme de la voix de Neide, comme une mélodie qui apaise tes muscles tendus. Tu l’écoutes en silence, la fourchette scindant ton sourire en deux le temps de te nourrir. L’information d’un grand frère s’enregistre dans un coin de ta tête, tu hausses les épaules alors que tes souvenirs glissent sur la table. « Eh bien .... Oui, un peu. (rire). Notre mère est partie alors que Ezra était très jeune, ce qui fait que j’ai toujours été très protectrice avec lui. ». Tu arroses ton palais d’une gorgée de vin avant de reprendre. « Au final, ça ne l’a pas empêché de s’embarquer dans toutes sortes de problèmes avec Jaden et Seth. Avec le temps, j’ai juste arrêté d’être toujours sur leurs dos. Même si je continue de m’inquiéter quand je n’ai pas de nouvelles. J’imagine que c’est dans ma nature, haha. ».

Tu poses délicatement tes couverts sur un coin de ton assiette puis te lève pour débarrasser la table une fois sûre que Neide avait terminé. Petite flèche qui galope gracieusement d’un endroit à un autre, tu laisses échapper des morceaux de phrases au passage. « Pour le dessert, j’ai fait une tarte aux cerises. J’ai aussi de la glace au congélateur mais j’avais peur que tu soies intolérante au lactose, haha. ». Tu ramènes alors le dessert sur la table basse du salon, proche du canapé. « On peut s’installer ici pour le dessert. C’est plus confortable non ? ». Oh boy, Keira. ((Déjà le dessert.)).

09/02/2020

Elle n’avait jamais été une jeune fille de bonne famille – pour commencer, par essence, les Almeida n’étaient pas ce que l’on appelait une « bonne famille », pas du point de vue nord-américain tout du moins et puis surtout, Neide était bien trop rebelle. Ou plutôt, elle se fantasmait rebelle alors qu’elle n’était pas tant sortie des clous que ça. Sa mère avait coutume de dire que les addicts, c’était comme les dépressifs, les vieilles filles, les homosexuels et les fonctionnaires : on en trouvait un dans chaque famille. Au-delà de cette formulation réactionnaire, probablement volontairement offensante de la part de cette femme qui maniait la provocation comme personne, Neide s’était finalement dit que sa mère n’avait pas forcément tort. De toute façon, c’était presque attendu de sa part : elle avait la psychologie pour, avec sa drôle de manière de se mettre la rate au court-bouillon pour la moindre contrariété dans l’intimité recluse de sa chambre, à l’abri des regards. Elle était vouée à faire une chute lamentable, avant de se relever et de continuer à avancer, hagarde, un peu dans le brouillard, à la façon d’un martyre ressuscité, un truc spirituel dans le genre.

Et même si elle n’a jamais été une jeune fille de bonne famille, Neide ressent cette gêne inexplicable lorsque Keira lui confie qu’elle se sent bien avec elle : celle de la jeune fille de bonne famille qui vient de fauter. Et c’est un sentiment très, très désagréable. Elle finit par décider de le compartimenter pour mieux l’analyser. Sans doute est-ce la surprise liée au fait qu’elle ne s’imaginait pas passer un aussi bon moment en compagnie de la jeune femme : elle avait pensé être invitée uniquement par obligation. Vraisemblablement, elle s’était trompée. Ce ne serait pas la première fois et sans doute pas la dernière. Elle était spécialiste du mauvais jugement. Devait apprendre à réfléchir par le cœur. Pourtant Keira se confie, partage les petites douleurs d’enfance, celle d’une mère qui quitte le foyer, raisons mystérieuses qui gangrènent le cœur des femmes depuis des millénaires.

- Je suis désolée d’apprendre ça, murmure t-elle simplement. Elle ne veut pas trop en faire, la brune a toujours eu la chance d’avoir ses deux parents à la maison, un couple solide, taillé dans la roche. Ton frère a eu de la chance de t’avoir. Tu sais, nous les petits, on est parfois un peu bêtes, on ne donne jamais de nouvelles et on le regrette par la suite. Il ne faut pas nous lâcher. poursuit-elle, elle le dit et elle y croit.

Ses parents étaient solides, mais la fratrie Almeida ne l’était pas. Joao était sans doute digne de confiance : pétri de valeurs, de celles qui poussent à s’engager auprès des gens, saupoudrées d’une pointe de conservatisme qui avait tendance à déplaire fortement à sa sœur cadette. Quant à elle, elle était une individualiste notoire et l’avait toujours assumé.

Keira l'entraîne sur son canapé et Neide ne peut s'empêcher de taquiner.

- Dis donc, ce n'était pas la peine d'en faire autant, je ne suis pas la reine d'angleterre. Tu sais quoi, je vais mettre de la glace sur ma tarte, comme ça, pas de jaloux.

Aussitôt dit, aussitôt fait, les deux jeunes femmes sont assises en tailleurs, l'une face à l'autre, sur le sofa en cuir blanc, très eighties. Neide louche sur la généreuse part de tarte à la cerise que lui sert Keira, surplombée d'une boule de glace à la vanille. Elle lui fait un clin d’œil et croque allègrement dans la tarte.

Et là, c'est le drame.

La glace, mêlée au jus de cerise, coule autour de sa bouche et un peu partout dans son décolleté. Almeida se hâte de glisser une main devant sa bouche pour prévenir les dégâts, mais le mal est fait.

- Oh, mer… crotte ! Je suis désolée… j’en ai partout autour de la bouche, non ? Tu as une serviette ? Oh là là. Je t’assure, je sais manger proprement, mais dès qu’il y a du jus, c’est la cata…

Ça, pour en avoir partout autour de la bouche... Le jus avait même dégouliné sur le menton, si bien qu'on ne faisait plus la différence entre la cerise et le rouge à lèvres de la médecin.

24/03/2020

Tu étais une gentille fille. Le genre à aider les vieilles dames à travers le passage piéton. Le genre à rester plus tard pour aider à ranger après une réception. Le genre à prêter de l’argent sans jamais attendre qu’on te le rende. Mais aussi le genre à s’écraser pour ne pas déranger les autres. Le genre à porter des jupes longues et à baisser les yeux quand on te parle. Le genre à t’effacer. Toujours. ((Disparaître.)). Tu étais gentille mais tu n’arrivais jamais à prendre les initiatives. On t’oublie, on te délaisse, on t’abandonne et pourtant, jamais tu n’élèves la voix. Tu restes silencieuse et tu te laisses abattre comme la gentille fille que tu es.

Certains qualifieraient ton adolescence d’ennuyeuse. Toujours cachée derrière un livre, les yeux accrochés à des mots qui n’ont plus aucun sens aujourd’hui. Des fantasmes qui n’ont jamais dépassé ce stade, des amours perdus qui n’ont jamais connu de retours satisfaisants. Les romances de jeunesse, la fille qui danse avec le garçon pendant le bal de promo, les rendez-vous secrets, les balades nocturnes dans le dos des parents, tu n’avais rien connu de tous ça. Tu n’étais que la petite prude du quartier, celle qu’on regardait du coin de l’oeil avec pitié, celle à qui on présageait un avenir rempli de solitude et de regrets. Et même lorsque tu as commencé à fréquenter Bruce, tu pouvais clairement entendre les murmures amères. ((Elle ne sera jamais heureuse.)).

Si l’amour fut longtemps le fil conducteur de ta quête vers le bonheur, ce n’est plus le cas. Ou, du moins, pas comme avant. L’amour va et vient, il change, prend des formes différentes et parfois, arrive même à nous surprendre après des années de certitude. La seule constante est probablement ton attachement inconditionnel pour ta famille, pour ton frère. « Jamais je pourrais le lâcher, de toutes façons. ». Tu dis ça sur un ton doux mais, que ce soit toi, Ezra, ou n’importe qui de ton entourage, vous savez tous que tu ne dis pas ça en l’air.

Tu tends son assiette à Neide et prépare la tienne sans te presser. « Ce n’est pas grand chose, tu sais. ». Au pire des cas, si elle n’aimait rien, cela ferait des restes pour la semaine entière. Un coup de fil à Ezra et c’était plié-« Oh, mer...crotte ! ». Ton regard s’est directement accroché au visage de Neide, elle n’a pas eut le temps de terminer sa phrase que tu étais revenue avec une serviette en tissu. « Attends, bouge pas. ».

C’est avec toute la délicatesse du monde que tu passes la serviette sur les coins de sa bouche, le buste penché vers elle, tu t’appliques à effacer toutes traces de sa maladresse avec une lenteur rassurante. Tes yeux scrutent ses lèvres, tes doigts sous le tissu les contournent, tes murmures glissent entre vos corps. « Ce sont des choses qui arrivent. ». Tu ne te rends pas compte d’à quel point tu es proche jusqu’au moment où tu écartes ta main de son visage, tes prunelles se plantent directement dans les siennes, ta voix s’élève à peine « … Et voilà » ((Trop proche.))

D’un coup, tu n’entends plus rien. Tu n’entends pas les battements assassins de ton coeur, tu t’entends pas le flux irrégulier de ta respiration, tu n’entends pas le froissement de ta robe alors que ton corps se rapproche de lui-même. Comme une pulsion, un battement de cils, tout va très vite et pourtant, c’est comme si le temps avait cessé de tourner. Tic. Tac. Et tes lèvres capturent les siennes.
((~~Tu n’es plus une gentille fille.~~))

09/02/2020

Mais quelle greluche ! Elle qui pourtant n'avait jamais été maladroite... confuse, elle tentait vainement de retenir le jus de cerise qui dégoulinait de son menton, dans l'espoir d'épargner le sofa en cuir. Mais celui-ci coulait entre ses doigts. Elle préférait néanmoins que cette matière poisseuse n'aille lui coller aux mains, plutôt qu'elle ne laisse des traces partout sur le mobilier très chic de son hôte. URGH. Vraiment, elle détestait se ridiculiser ainsi. Qu'est-ce que Keira allait penser d'elle ? Qu'elle était une imbécile incapable de se tenir correctement à table ? Qu'elle avait été élevée dans une basse-cour ? Que l'on mangeait chez elle comme pourrait manger une troupe d'ogres sans manières ni limites ?

Maintenant que Keira était revenue auprès d'elle avec une serviette, elle se sentait d'autant plus infantilisée. Néanmoins, il lui fallait bien admettre qu'elle aurait eu quelques difficultés à se nettoyer sans en faire gicler partout. Rares avaient été les fois où elle avait dû serrer les lèvres bien fort pour que le contenu de sa bouche ne finisse pas sur son torse presque plat, mais là, elle s'en voulait vraiment. Elle était si vexée qu'elle ne remarqua pas l'étrange électricité qui vrombissait entre la silhouette de Keira et la sienne - la pulpe des doigts qui traversait le mouchoir gorgé de jus, les seins de l'autre femme qui effleuraient les siens, la proximité de leurs visages. Tant mieux, cela aurait probablement eu comme effet de l'achever sur le champ.

Soudain, alors que c'était le mouchoir qui était sur sa bouche, elle sent contre ses lèvres quelque chose de plus mou et tendre. C'est Keira qui l'embrasse et ça, elle ne l'avait pas vu venir. Ses yeux s'écarquillent sous le choc et elle ressent une onde de plaisir coupable - car ce sont des lèvres et il est toujours plaisant d'être embrassée tant que c'est voulu, n'est-ce pas ? Or, sans qu'elle ne lui rende son baiser mais sans qu'elle ne s'en échappe, les réalités s'entrechoquent et Neide réalise que c'est une femme qui l'embrasse et non pas un homme. Mais pourtant... Avec douceur, Neide repoussa gentiment la trentenaire, dans l'espoir de ne pas la vexer.

- Je... Je ne sais pas si j'ai aimé ça, ou pas. Je ne m'y attendais pas.

C'était la vérité. Jamais elle n'aurait cru qu'une femme l'embrasserait, elle avait pu l'imaginer et se dire qu'elle ressentirait probablement une forme de dégoût ou d'amusement en se disant : hum, curieux que j'aie pu songer apprécier cette expérience ! Et pourtant, n'en déplaise à sa certitude d'être faite pour les hommes et les hommes uniquement, Keira à ce moment lui semblait très attirante et elle n'arrivait pas à définir si c'était dû à sa légère ivresse ou à une attirance animale - ce que les humains étaient au final, des êtres qui recherchaient l'accomplissement dans le plaisir sexuel.

Keira était une femme. Pourtant, Neide se rendit compte que ce baiser lui avait plu, peu importe le sexe de la personne qui lui avait donné. Peut-être que ce n'était pas si important ? Ou peut-être qu'à elle, ça lui plaisait et qu'il était temps de s'ouvrir à un océan de plaisir dont elle avait jusqu'à présent ignoré l’existence.

- Je crois que j'ai envie de recommencer, et toi ?

Elle avait retrouvé son aplomb et ressentait à présent un frémissement là où les veines pulsent le plus fort.

- Enfin, si ça te dit et que ce n'était pas un moment de folie passager, tenta t-elle de plaisanter, ayant elle-même l'impression de se retrouver face à un bug de la matrice.

24/03/2020

Dès l’instant où tes lèvres touchent celles de Neide, tu regrettes. Pas le baiser, en lui-même. ((Surtout pas le baiser.)). Mais cette intrusion. Tu t’es laissée avoir par tes instincts nouveaux, tu t’es laissée emporter par ce désir incontrôlable, si bien que tu n’as pas pris la peine ne serait-ce que de demander la permission de l’embrasser. Alors quand elle te repousse timidement, tu accompagnes son mouvement en te redressant, toute honteuse. C’est à ton tour d’être embarrassée. « Je... Je ne sais pas si j'ai aimé ça, ou pas. Je ne m'y attendais pas. ». Tu étires la distance, tu t’écartes presque brusquement, t’as le rouge qui a déjà dévoré tes joues. « Je suis vraiment désolée, je n’aurais jamais dû le faire sans te demander la permission, je ne sais pas ce qui m’a pris. Je suis vraiment vraiment désolée. ». ((Tu as tout gâché.)).

Tu n’avais jamais été du genre impulsive, comme Ezra. Toujours prudente, des actes manqués pleins les doigts, comme des restes de peinture sèche dont tu n’arrivais pas à te débarrasser même en frottant très fort. Il y avait tellement de chose que tu n’avais jamais eut l’occasion de faire par manque d’audace. Tellement de choses que tu aurais voulu dire, des amours à confesser, des opportunités à saisir, des batailles à mener. Mais tu as toujours été de nature peureuse. Peur de l’échec, peur du rejet, c’est plus simple de rester à sa place, de se taire et de se cacher derrière un cocon rassurant.

Pourtant, ces derniers jours, tu semblais avoir évolué. Comme si plus rien ne pouvait t’atteindre, comme si tu étais capable de tout. Tu pensais avoir changé, tu pensais avoir grandi. Et te voilà, les bras ballants, comme une idiote, à te faire piétiner par la honte d’une pécheresse saphique. Tout était plus simple dans les livres. Les choses s'enchaînent simplement, en un regard, c’est engagé, le mot est passé. Mais dans la vraie vie, ça ne marche pas comme ça. ((Ça ne marche pas.))

« Je crois que j'ai envie de recommencer, et toi ? »

Tu relèves délicatement la tête, les yeux écarquillés comme si tu venais de voir un fantôme. ((Je crois)). Boom Boom. ((Que j’ai envie)). Boom Boom. ((De recommencer)). Boom Boom. ((Et toi ?)). Ton coeur vient de s’arrêter. Tu bredouilles, le souffle qui te manque, les mots qui t’échappent. Tu as l’impression que ce qu’il se passe à cet instant n’est pas réel.

Tu n’as jamais embrassé de femme. Pourtant, ce n’est pas la première fois que tu en as eut envie. La première fois, ce fut Betty, cette peste de ta classe au lycée. Elle avait un grain de beauté sous l’oeil et des lèvres bien pleines qui t’avaient toujours secrètement fasciné. La seconde fut Lily, un soir où vous n’étiez que toutes les deux. La pensée t’avait traversé l’esprit, juste une seconde, avant de finalement mourir dans les tréfonds de tes songes coupables. Mais jamais tu n’avais ressenti le besoin aussi pressant d’embrasser une femme. Peut être même pour personne d’autre.

« Enfin, si ça te dit et que ce n'était pas un moment de folie passager. ». Tu reviens sur terre, ta voix se débloque en trébuchant sur le fond de ta gorge. « Non ! Enfin-euh-je veux dire … O-Oui. J’ai très envie … de recommencer. ». Tu en mourrais d’envie, même. Alors tu t’approches avec délicatesse, tes doigts gantés se glissent sur sa joue dans un contact intime alors que tu sens ton rythme cardiaque faire trembler tous tes membres. Le moindre détail du visage de Neide semble alors aveugler tes yeux. Ses longs cils sombres qui accompagnait son regard si intense. Ce grain de beauté perdue dans la douceur de sa joue. L’arc de cupidon qui traçait à la perfection les courbes de sa lèvre supérieur. Le bout de son nez qui effleurait le tien dans une espèce d’affront malicieux. Ses petites mèches qui recouvraient son front dans une danse droite et folle à la fois. Et finalement, alors que vos souffles se mêlent à peine, tu te retiens juste avant l’impact, un murmure t’échappe.

« Je peux ? ».
Tu ne ferais pas la même erreur deux fois.
Tu ne l'embrasserais que lorsqu'elle aura dit Oui.

09/02/2020

L'espace d'un instant, elle s'était dit qu'elle avait commis une erreur - que son rejet fugitif avait bâti un mur de fer entre elles deux. Que durant quelques secondes, elles n'avaient jamais été aussi éloignées, malgré le fait qu'elles étaient assises sur le même canapé en cuir, dans le même espace-temps, sur le même fuseau horaire et dans la même dimension, histoire de faire plaisir aux fans de science-fiction. Elle déglutit, car la situation lui était étrangère. Or, Neide aimait contrôler les choses, ou tout du moins, exercer un semblant de contrôle sur celles-ci.

Ce qui la gênait le plus, c'était qu'elle incapable de mettre des mots sur ce qu'elle avait ressenti lorsqu'elle avait rendu son baiser à Keira - car elle ne s'était pas contentée d'être embrassée, elle avait aussi embrassé et cette simple action remettait tout son monde d'hétérosexuelle sans histoires en question. Elle n'avait jamais douté de son attirance pour les hommes et en conséquence, n'avait jamais questionné une quelconque affection pour son propre sexe - c'était quelque chose pour une autre. Et Neide n'avait jamais fait parti des autres.

- Non, non, ne t'en fais pas. C'est juste... étrange.

Elle refusait que Keira se sente mal pour avoir cédé à un instinct - Neide était bouleversée mais ne se sentait pas mal, loin de là, même. Elle se sentait même excitée et ceci la conforta dans l'idée que quoi qu'il en soit, les questions existentielles attendraient le lendemain. Elle avait envie de recommencer, mais est-ce que Keira avait envie, elle ? Les positions étaient à présent inversées et Neide se surprit à attendre impatiemment la réponse de l'autre femme tout en se mordillant la lèvre. La réponse était positive et maintenant ?

Elle sentait une pression sur ses épaules, une pression qu'elle n'avait jamais ressenti en embrassant aucun homme auparavant. Qu'en était la raison ? Neide n'aurait su le dire : le fait que Keira fut une femme ou tout simplement, le fait qu'elle fut Keira et que Neide tenait, inconsciemment certes, à conserver un simulacre de professionnalisme dans leur relation ? Comme pour meiux lui remémorer l'origine de leur rencontre, le cuir moite vint se poser sur sa joue pâle et Neide déglutit, car sans le vouloir, elle était sensible à cette matière qu'elle trouvait naturellement attirante.

Keira est vraiment très près. (Je peux ?) Neide la regarde avec sérieux - ce sérieux qui ne la quitte jamais. Elle n'était pas une personne de mots, elle était quelqu'un de sensuel, qui sacrifiait la parole à la faveur du geste. Pourtant, ce soir là, elle prit le temps. Le temps d'admirer le visage anguleux de Keira, la façon dont sa coupe de cheveux audacieuse flattait son front en forme de cœur, ses yeux sombres, comme deux puits de lumières, rivés sur ses propres prunelles. Elles s'observaient mutuellement, mutines. Cela rassura Neide, de savoir qu'elle n'était pas la seule étrangère à la situation.

- Je crois que tu peux oui, s'amusa t-elle, car c'était la première fois qu'on lui demandait clairement si elle souhaitait qu'on la touche.

Et elle ne se rendait pas compte à quel point c'était important.

Sa main effleura la joue de Keira, joua négligemment avec une mèche grossièrement coupée qui s'était dissimulée derrière son oreille, avant d'épouser la nuque de la psychologue. Cette fois c'est Neide qui mène la danse, car il y a des luxes qu'elle est incapable d'abandonner : le baiser qui a eu lieu quelques secondes plus tôt ricoche et cette fois-ci, ce sont les lèvres impérieuses et gloutonnes de la jeune femme qui vinrent s'alanguir sur celles de son aînée, sans qu'elle ne se soucia un seul instant de la température qui émanait de leurs deux silhouettes enchevêtrées sur le canapé.

24/03/2020

Il y a comme un moment d’arrêt entre vos corps. Comme si la gravité avait perdu tout son sens et que vous flottiez au milieu de ton salon sans vraiment réussir à vous toucher. Chacune pense avoir froissé l’autre, chacune se laisse envahir par une espèce d’angoisses passagère, les questionnements qui se multiplient au fond de vos iris volatiles. C’est tout nouveau, tout beau, terre inconnue, curiosité sans limites, tu te demandais si elle se posait autant de questions que toi. Car c’est étrange, elle l’a dit, tu le sais. C’est étrange, on voit pas ça dans les films, on voit pas ça à la télé’, on voit pas ça dans la rue et même pour toi, c’est une fantaisie littéraire que tu n’aurais jamais cru pouvoir réaliser un jour. ((T’as l’impression de rêver.))

C’est comme une chasse au trésor. Tes doigts gantés se baladent sur sa mâchoire, ton pouce s’égare même dans le creux de la joue dans un couinement discret. Etrangement, tu ne trembles pas. L’éventualité que cette situation puisse se produire t’avait déjà traversé l’esprit alors que tu te retournais sans cesse au fond de ton lit. Et même dans le meilleure de tes scénariis, tu pensais quand même te faire avoir par ta maladresse naturelle. Mais pas cette fois. Ta main mobile plane dans l’air pour échouer sur son épaule, vos souffles s’entrechoquent, tu sens son regard sur ton visage et, alors que ses paroles percent le silence, tes lèvres les dévorent en même temps que les siennes.

Par le passé, il t’était arrivé de penser à ce que tu pourrais ressentir si tu trompais Bruce comme lui te trompait. Cela ne serait pas si grave ? Que tu t’étais dit, un jour, avant de le regretter tout de suite après. Tu t'étais dit que même s'il était infidèle, il ne méritait pas que tu lui infliges le même sort. Tu t'étais dit que qui que soit ton amant, tu détesterais parce que tu n'as d'yeux que pour Bruce. ((Naïve))

Et là, qu'est-ce que tu ressens, Keira ?

Ça picote, un peu partout dans ton corps, un peu partout dans ton cœur. C'est comme un courant électrique qui te traverse l'échine, qui fait claquer tes vertèbres en elles et toutes les autres articulations. Le squelette qui tremble secoue aussi tes organes, ils s'entassent, s'enlacent, t'as des papillons dans le poumon droit et le souffle qui se coupe dans l'intestin. Ça défit toute logique, ça te brûle entièrement, si bien que même à travers tes gants, tu pourrais vous faire fondre toutes les deux.

Et pourtant, tu en demandes encore, comme un faim nouvelle et insatiable qui te prend aux tripes. Tu l'embrasses, comme si c'était la dernière fois alors que ce n'est que la première et tu voudrais qu'il y en ait mille autres, des baisers comme celui-là. Tu tiens son visage entre tes paumes comme si tu tenais son palpitant, fragile et précieux, tu as peur de l'abîmer, la jolie Impératrice. Et les parois gelés de son profil ont l'air de fondre sous tes phalanges, elle est semblable à un élixir qui pourrait soigner tous tes maux sauf que c'est tour l'inverse, ça te fait perdre la tête, ça te fait perdre la raison. Neide, elle se glisse dans ton esprit en même temps que ta langue entre ses lèvres, timide et malicieuse, elle t'empoisonne.
((Et tu es sous le charme)).

Jamais tu n'avais été comme ça. Pas avec Richard du lycée. Pas avec Bruce. Avec personne. Jamais tes baisers n'avaient été aussi ardents, aussi saisissants. Jamais tu n'avais ressenti autant de désir aussi soudainement, encore moins envers une femme. Et quand finalement tu te détaches de Neide, c'est comme un déchirement. T'en redemanderais presque si l'oxygène ne te manquait pas tant. Alors tu la regardes, en silence, tu la contemple comme une œuvre d'art, tu as presque peur qu'elle disparaisse si tu détournes les yeux qu'un instant. Ton buste se soulève au rythme de ta respiration, vos ombres se confondent encore sur le cuir du canapé. Tes pensées s'évanouissent dans ton aveu murmuré.

« J'ai aimé ça. ».

09/02/2020

Elle avait l'impression que ce baiser était significatif et ne parvenait pas à s'y abandonner totalement. Ce n'était pas tant l'impression de fauter, mais plutôt celle de s'aventurer sur un nouveau territoire, un empire des sens qui lui était jusqu'alors inconnu, où le point culminant était un mont de vénus plutôt qu'un symbole phallique quelconque. C'était comme un changement de paradigme, une sorte de réécriture d'elle même en tant que personne, elle qui pensait avoir des goûts plutôt arrêtés.

Contrairement à d'habitude, elle se laissait parasiter par des pensées intrusive, son manque d'éthique lui revenant en pleine figure. C'était là bien une question de morale personnelle, une sorte de dignité personnelle, un honneur qu'elle n'avait alors jamais soupçonné ; avait-elle le droit ? Le droit de s'abandonner aux baisers de Keira alors que le fiancé de cette dernière était dans le coma et qu'hier encore, leur relation était purement professionnelle, voire médicale ?

Pourtant, elle se sentait désirée alors que les mains de Keira s'imprimaient sur ses joues et ressentait un sentiment de plénitude qu’elle n'avait pas connu depuis des jours, voire des mois. L’euphorie l'électrifiait de toutes parts. Elle ignorait si c'était la nouveauté de la situation ou la chasteté négligente qu'elle s'était imposée sans le vouloir ces derniers mois qui faisait que le sang venait faire palpitait certaines de ses boursouflures.

On la voyait comme une personne froide, maniérée, frigide par extension, ainsi, l'intensité avec laquelle elle répondait aux baisers et aux caresses de sa partenaire d'un soir avait de quoi à surprendre. Le temps s'était stoppé et la Terre pouvait bien s'arrêter de tourner, Neide n'avait plus que d'yeux pour Keira et était gouvernée par un désir primitif qui portait le nom abstrait des halètements de plaisir jouissifs et conjoints.

Leurs bouches se séparent mais le baiser résonne encore dans la pièce : une torpeur chaude, humide, qui semble précéder le tonnerre. Ce fut si intense qu'elle en a presque la tête qui tourne. Elle a aussi l'impression d'avoir emporté un bout de Keira au creux de ses lippes.

- Qu'est-ce que ça aurait été si tu n'avais pas aimé ça... murmura t-elle, encore ébranlée.

Elle avait chaud et envie de se dénuder. Cependant...

- Ne te méprends pas. J'ai envie... d'aller plus loin. Mais ça me pose un problème de conscience. Je crois... elle se frotta le front, comme si une idée de génie allait lui venir dans la micro-seconde qui suivait. Que j'ai besoin de faire le point. Sur ce que tu es pour moi et là où on en est aujourd'hui. Je pense qu'on doit le faire toutes les deux, asséna t-elle, se rappelant quand même que techniquement, Keira s'était promise à un autre.

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Spéciale dédicace à Sofya mdrrr :

Spoiler:

24/03/2020

Alors que vos souffles continuent de se mélanger dans l’air, tu la regardes encore. Elle est belle, Neide. Tu l’avais remarqué il y a déjà un temps, mais c’est vrai qu’elle est très belle. Même avec son air sérieux, impénétrable, loin du commun des mortels, encore plus avec les rougeurs d’une passion soudaine étalée sur ses joues. Son masque de glace t’attirait tout autant que ses traits enflammés. C’était un mélange étrange qui te fascinait, et tu le sentais encore pétiller contre tes lèvres, au bout de ta langue. ((Euphorie))

Ta main gantée étouffe. Juste un petit contact, le bout de tes doigts contre sa mâchoire, jusqu’à ses pommettes, ça ne la tuera pas. ((Pas comme Bruce.)). Bruce. ((Tu l’avais presque oublié.)). Son visage éteint te revient en tête comme une claque phénoménale. D’un coup, tu te détestes. Parce que tu as fait exactement la même chose que lui. Et quelque part, tu sais que si vous ne vous étiez pas arrêtées, tu n’aurais plus été capable de te retenir. ((Ça te brûle à l’intérieur)).

Finalement, tu te contentes de replacer une de ses mèches folles derrière son oreille, tes yeux la détaillent un peu plus, comme s’ils la redécouvraient à chaque battement de cils. ((Si Belle)). La chaleur plane encore alors que t’écartes timidement, tu sens tes paumes fondre, comme une envie de déverser cette sensation de lave en fusion sur le premier bout de peau. Il faut simplement que tu respires, Keira. « Ne te méprends pas. J'ai envie... d'aller plus loin. ». Envie. D’aller. Plus loin. Étrangement, lorsqu’elle le dit tout haut, ça sonne mal. Comme une bêtise. Comme une erreur. « Mais ça me pose un problème de conscience. ». On y est. Tu ne pouvais pas y échapper. « A cause de Bruce ? ». Ta voix a caressé le silence qui étouffait ta gorge, maladroitement, presque avec une certaine innocence. Mais elle poursuit.

« Je crois... Que j'ai besoin de faire le point. Sur ce que tu es pour moi et là où on en est aujourd'hui. Je pense qu'on doit le faire toutes les deux. ».

Faire le point. D’un coup, ça propulse toute cette fantaisie qui hantait tes nuits dans le monde de la réalité. C’est arrivé. Tu l’as embrassé. Elle t’a embrassé en retard. Et maintenant ? Neide avait raison. Elles avaient besoin de se laisser du temps, pour réfléchir, pour penser à ce que tout ceci pouvait représenter. Et même si tu avais envie de dire que tout était déjà réfléchi, tu ne pouvais pas lui imposer tes propres choix. ((Tu ne voulais pas être comme Bruce.))

C’est un rire qui t’échappe. Proche d’un souffle, un faible éclat qui a à peine fait trembler les bibelots du salon. « Pardon, je ne voulais pas rire, tu as raison, c’est important, c’est juste que ... ». Finalement, ta main se libère de sa prison de cuir, ton pouce s’écrase sur la commissure de ses lèvres, efface les débordements de rouge, la couleur étalée pendant vos baisers échangés. « … Tu en as partout, pardon. ». Au bout de tes phalanges, la chaleur se propage avec une douceur agréable. Tu t’étales sur toute la joue, le temps qu’il faut, pas une seconde de trop. ((Jamais.))

Tu étais comme une enfant qui veillait tard le soir pour la première fois. Malicieuse, excitée, tu n’arrivais pas à rester sérieuse et pourtant, tes joues arrivaient quand même à se teindre de pourpre, habitude de tes vieux jours. « Je comprend. ». Tu te racles la gorge, comme pour te donner plus de contenance. « Si ça peut te soulager, sache que même si j’ai agi un peu par impulsion ... ». Tes prunelles s’égarent puis reviennent vers elle, gourmandes de contemplation. « … J’y avais déjà pensé. J’en avais envie depuis longtemps. Je connaissais les conséquences. Je te le dis parce que je ne veux pas que tu te sentes coupable de quoi que ce soit, d’accord ? ». Parce que toi, tu ne le sentais pas le moins du monde.

09/02/2020

La magie du moment s'écroule alors comme si une bourrasque de vent avait renversé un château de cartes, probablement car cette magie avait une part de fantasme car il s'agissait d'une première fois. Cela étant dit, il n'en aurait peut-être pas de seconde, alors, Neide cligne des yeux, hébétée, peu habituée à ce flot de pensées contradictoires qui s'écharpent comme des chats errants et enragés. Keira replace une de ses mèches derrière son oreille et ça y'est, Neide se sent encore plus mal sans savoir pourquoi. Elle était étonnée de cette frénésie analytique qui la prenait tout d'un coup, sans prévenir et n'était pas habituée à une telle complexité lorsqu'elle venait à envisager les rapports humains. Plus précisément, elle n'était pas habituée à ressentir la culpabilité pour des choses aussi bénignes.

A cause de Bruce ? Cela aurait été la raison la plus légitime, la plus évidente, l'interdit à ne pas franchir : à peu près aussi lamentable que de se taper une veuve alors que l'on revenait à peine du cimetière. Non, bien que l'existence de Bruce et surtout, son état de santé, eût pesé sur les hésitations de Neide, c'était bel et bien la nature de la relation qu'elle entretenait avec Keira avant que les sentiments ne s'en mêlent qui la mettait profondément mal à l'aise. Elle avait tenté de garder un regard neutre sur Keira : le but de leurs... réunions était, en essence de comprendre l'origine de son pouvoir, d'appréhender ses diverses manifestations, de le contrôler, pour enfin déduire s'il s'agissait d'une affection ou d'une évolution naturelle ou forcée, si on lisait entre les lignes, Neide Almeida voulait sortir de son université avec une thèse sur la mystérieuse mutation de Minneapolis et ses effets sur le corps humains sous son bras rachitique.

Elle n'était pas une bonne personne, mais elle dégringolerait encore plus dans le classement des saintes de la ville si elle se mettait en plus à fréquenter son sujet d'expérience n°1. L'erreur originelle avait été de devenir son amie, de rire avec elle et de discuter en buvant un café, elle aurait du le savoir mais dans son manque d’introspection, n'avait pas su voir les risques. Il était trop tard pour reculer, mais il était suffisamment tôt pour ne pas envenimer les choses. Mais ça, elle n'aurait jamais le courage de l'avouer à Keira.

- Oui. C'est à cause de Bruce. , souffla t-elle, heureuse que son amie lui ait offert cette porte de sortie bien pratique, aussi mensongère soit-elle.

Elle avait l'impression d'avoir ramené un orage au sein de leur intimité, car sans prévenir, le pouce rond et nu de Keira vient ramasser du jus juste là où ses lèvres forment un cœur grossier, enfantin, comme pour éviter de parler, comme si le toucher était plus simple, plus sain - il l'était sûrement. Elle écouta son petit discours - qui la soulage aussitôt, elle doit l'admettre. Cela n'enlève rien au poids de la pierre qu'elle vient de ranger dans le sac à dos qui renferme ses déceptions, ses colères et ses peines, mais au moins, c'est déjà ça.

- J'aurais l'air beaucoup plus sérieuse si je n'avais pas de la cerise partout, c'est vrai, et ses mots se mélangèrent à un rire discret, car la situation n'était pas dramatique non plus. Je découvre un tout nouveau truc, là. Tu vois, j'ai l'impression d'être sur un petit nuage, mais quand je vais retomber, il faudra que j'y réfléchisse... j'espère que tu me comprends. Elle toussota. Le truc à retenir, c'est qu'on le voulait toutes les deux,conclut-elle avant de s'enfermer dans un silence traînant et qui laissait présager le pire.

Est-ce qu'elle pouvait vraiment poser la question ?

- Dis... je peux te demander un truc ? Par rapport à Bruce, du coup... osa t-elle, tout en grignotant son ongle recouvert de jus sucré et soyeux.

24/03/2020

Avec le temps, tu avais appris à reconnaître les menteurs. C’était quelque chose dans le regard, quelque chose dans la gestuelle, quelque chose dans l’aspect figé des lèvres. Un tas de micro-détails qui, à force de les voir, devenaient impossible à ignorer. Alors quand tu la regardes, la commissure de ses lèvres un peu figé, le mouvement rouillé de ses paupières, le fond de ses iris insaisissable, il y a ce vieux sentiment de déjà-vu, désagréable et persistant. Il est évident que Neide ne dit pas tout et, quand bien même ta nature curieuse n’avait pour seule envie que de gratter cette couche secrète qui recouvrait son visage, tu te fais violence pour ne rien dire. Après tout, elle n’avait pas de compte à te rendre, tu n’étais que la fiancée de son patient, une expérience docile, peut être une amie, tu l’espérais. Même ça, tu t’en contenterais. Vous n’aviez partagés qu’un baiser. Un simple baiser. ((N’était-ce que ça ?)).

Le mécanisme s’enclenche, les rouages ont pris la poussière mais continuent de tourner comme au premier jour. ((Ne pas paniquer.)). Neide, elle parle et ses mots se cognent entre tes tympans. Impossible de savoir si le mensonge a infecté la vérité, tu entends la voix de Bruce au creux de ton oreille. ((Gentille Keira.)). Le poids des autres, la peur qu’on te mène en bateau, l’angoisse de te retrouver dans une spirale sans fin, à attendre qu’on vienne te sauver sans que personne n’entende tes appels à l’aide. Pourquoi les choses ne pouvaient-elle pas être simples, pour une fois ? Tu te souviens, Keira ? De cette époque où tout ce que tu voulais, c’était un gentil petit mari, une maison sans prétention avec deux ou trois enfants qui courent dans le jardin ? Quand est-ce que les choses sont-elles devenues si compliquées ?

Ton sourire s’est imposé de lui-même, tu n’as même plus à faire l’effort de faire semblant. « C’est dommage de bloquer sur la chute plutôt que de profiter du nuage. ». Tu t’en mords presque la langue, le poison qui encombre tes oreilles a coulé sur tes lèvres. « Mais je comprend. ». Tu pousses un long soupire, comme pour évacuer toutes ces pensées assourdissantes, pourtant, les étincelles dans tes yeux semblent toujours briller aussi fort. ((L’habitude.)) « Oui. ». Toi, tu en avais envie. Tu es sûre qu’elle aussi ? Puis qu’elle le dit, c’est que ça doit être la vérité. ((Tu en es certaine ?)).

Tu t’es levée presque brusquement pour ramasser la vaisselle abandonnée sur la table basse. Le tintement des couverts se mêle au silence de Neide, tu essaies de le combler avec ta voix fluette. « Je m’occupe de ça rapidement. ». Les assiettes, l’une sur l’autre, les fourchettes qui se croisent, la glace qui a fondu dans l’assiette en une espèce de flaque lactée difforme, tu te dépêches de tout faire disparaître, en espérant faire de même avec le désordre qui règne dans ton esprit. Et alors que tu rejoins le salon après un bref passage dans la cuisine, la question de ton invité déchire l’air, un frisson chatouille ta colonne. ((Bruce.))

Bien droite dans tes talons, tu la regardes, presque surprise par sa curiosité, les pensées parasites pullulent dans ton cerveau, tu fais tout pour les ignorer. Délicate, légère, tu retrouves ta place à ses côtés, plus aussi proche mais pas assez loin, tu bats des cils, tu redoutes le pire comme le meilleur. « Bien sûre. ». Ton timbre se réchauffe, comme une dernière prière avant que l’on te coupe la tête. « Demande-moi ce que tu veux, Neide. ». Tu commences à avoir froid.

09/02/2020

T’as mytho Neide et ça c’est vraiment pas cool. Tu baratines, tu mélanges des mots dans le creux de ta langue sèche et vipérine, tu les recouvres d’un vernis brillant, collant, rose comme du chewing-gum et tu les sers sur un plateau d’argent, en espérant bêtement que leur emballage, c’est à dire la voix suave qui les accompagne et la bouche pulpeuse dont ils coulent, sera suffisant pour détourner l’attention de ton interlocutrice. La honte était un sentiment étrange – les animaux dont les hommes étaient frères malgré leur sacro-sainte civilisation la ressentaient-ils ? Ou étaient-ils les seuls damnés du règne animal à devoir se coltiner cette sensation de dignité fondue, de cœur palpitant et d’auto-dépréciation perpétuelle ?

Elle avait embrassé Keira depuis quelques minutes. Et déjà, elle se mettait à lui mentir. C’est pour la préserver, qu’elle s’auto-persuadait en boucle. Disque rayé, qui dérape et grésille lorsqu’entre en jeu le elle, car Neide ment pour se protéger, elle fabule pour ménager son ego, parce qu’elle a peur de se révéler comme celle qu’elle est, une opportuniste du genre bien particulier : ceux qui ne savent pas réellement ce qu’ils veulent, qui s’agrippent à la moindre possibilité, quand bien même elle ne leur serait pas destinée, car ils méritent tellement mieux. Ce que Neide avait oublié, c’était qu’à force d’agir pour ne pas passer pour un monstres, on commettait parfois des actes crasseux, indignes et douloureux. Néanmoins, elle n’était pas là pour se disperser en élucubrations philosophiques : personne ne la guidait et aucun ange gardien n’était là pour relire et corriger ses bêtises.

La révélation s’imposa d’elle même : Keira semblait savoir que Neide mentait et faisait comme si de rien n’était. Elle avait beau tenir son masque de deux mains pâles et crispées, l’autre femme n’avait même pas eu à se démener pour le lui arracher.

- Dis toi que je te rattraperai à l’atterrissage, vu que je serai déjà en bas, plaisante t-elle, en espérant que son petit trait d’esprit détournera les potentielles rancœurs de la jeune femme.

Elle n’a pas tort, Keira. Elle a même carrément raison. C’est dur à avaler, comme si le sac de nœud qu’elle tentait de conserver entre ses boyaux se frayait un chemin le long de sa trachée, elle finirait par le régurgiter et Keira pourrait découvrir à quel point elle était emplie de fiel, de mensonges et de faux-semblants.

- Euh… oui. T’inquiètes. Tu veux de l’ai…

Mais Keira disparaît déjà au détour d’un mur et Neide ne peut que se demander si la corvée de vaisselle arrivait à pic pour l’extirper de cette situation délicate dans laquelle elles s’étaient fourrées. Neide déteste sentir l’odeur du désir aqueux et celle des regrets s’entremêler.

Demande-moi ce que tu veux.

Si tu veux, on peut baiser et oublier ce que j’ai dit tout à l’heure, était-elle à deux doigts de débiter, mais l’atmosphère ne s’y prêtait plus, ses mots seraient aussi fatidiques et vides de sens qu’une tartine qui tombe du mauvais côté ou qu’une crotte de pigeon qui s’écrase sur votre soulier fraîchement ciré.

Ce qu’elle allait demander était déplacé, mais elle avait besoin de savoir.

- Qu’est-ce que tu feras, si Bruce se réveille ? S’enquit-elle avec prudence.

Au cours des semaines, elle avait délaissé le « quand » pour le « si », car le réveil de Bruce n’était plus qu’une hypothèse farfelue, une fable pour gosses, une chimère et dans le fond de son cœur, Neide se surprenait à souhaiter que le bel homme au futur prometteur ne fasse jamais son retour dans le monde des vivants.

24/03/2020

« Qu’est-ce que tu feras, si Bruce se réveille ? »

((Qu’est-ce que tu feras)).
((Si)). ((Si)). (( S i )).
((Bruce)).
((Bruce)).
((Bruce)).
((Se réveille ?)).

La question s’est cassée la figure sous ton nez, les mots se sont emmêlés dans ta tête, les pieds dans le tapis, ils résonnent à des rythmes différents, si bien qu’ils n’ont plus aucun sens. La question, cette question, tu n’as pas entendu qu’elle sorte de cette bouche que tu venais d’embrasser passionnément pour te la poser. Elle tourne en boucle depuis des jours, des semaines, des mois entiers. La culpabilité en a perdu le souffle mais la question n’a jamais cessé sa ronde, infatigable, elle s’est incrustée dans tes neurones comme une mélodie agaçante. Elle prend de la place dans sa tête, elle est si bruyante qu’elle arrive même à prendre la voix du concerné pour s’enfoncer un peu plus profondément dans ta tête. ((Eh bien, Kiki ?)). Elle t’obsède, elle t’épuise, elle t’habite. ((C’est quoi ta réponse ?))

« Ce que j’aurais dû faire depuis bien longtemps. »

Ta voix a éclaté dans l’air, le son aérien de ta voix douce, tes yeux se sont perdus dans les coutures de tes gants. Les fantômes de vos souvenirs ensemble se baladent tout autour de toi, les silhouettes que tu retraces dans un coin ou un autre de la pièce, elles s’effacent sous le poids du changement. La présence de Neide agit comme une gomme, elle désintègre les croquis de cette relation poison, pour laisser une page presque blanche, un peu froissé, un peu grisâtre, mais débarrassé des coups de crayon maladroits. Elle ne s’en rend pas compte, elle n’a pas à le savoir, elle n’est qu’une raison parmi d’autres mais elle reste importante dans ce processus. Tourner la page.

« J’aime Bruce. J’aimerai toujours Bruce. Simplement, je ne l’aime plus comme lui voudrait que je l’aime, et ce, depuis longtemps déjà. » Tes paumes sont plaquées contre tes cuisses, tes phalanges restent immobiles. Pas un tremblement, pas une hésitation, juste l’assurance d’une sincérité sans égale. « Je voulais que ça marche. Je le voulais vraiment. Mais être loin de lui, loin de son … influence … ça m’a fait réaliser que lui, comme moi, nous nous sommes forcés. ». Doucement, tes prunelles remontent, elles cherchent du réconfort, une sorte de soutien dans celles de Neide, ou simplement un peu de chaleur. ((Il fait froid)). « J’en ai juste marre de mentir et qu’on me mente en retour. ». Tu es cruelle, Keira. Avec ton visage dégoulinant d’innocence, on ne peut pas détester tes mots en lame de couteau. ((Mais ils restent douloureux)). « S’il se réveille, je mettrai fin à notre relation. Pour de bon. ». Le rouge de tes lèvres brillent d’une confiance torride, mais au fond, le doute subsiste. ((En seras-tu capable ?)).

« A ce sujet ... ». On aurait pu croire que tu en avais fini. Mais tu serais bien hypocrite de t’arrêter là après une telle réponse, n’est-ce pas ? Tes iris brillent d’une lueur presque malicieuse, mais surtout rassurante quand on en capte l’intensité. « … Je suis déjà tombée de haut. Je n’ai pas besoin qu’on me rattrape. Je peux tout encaisser. Tu n’as pas besoin de me ménager. Je peux tout entendre. ». Il n’y pas une once de reproche dans ta voix. Rien que de la bienveillance. Même si, intérieurement, tout ce que tu espères, c’est que Neide saisisse la perche que tu es en train de lui tendre. ((Ne me mens pas comme lui.))

09/02/2020

La question avait un côté cruel. Un peu comme une dissection. Neide s'était emparé d'une lame nue - c'est ce qu'elle était, elle ne prenait pas la peine de se cacher au sein d'un fourreau richement décoré car elle savait qu'elle était équipé des mots pour trancher, dévorer et massacrer. Lorsqu'elle décidait de frapper, il n'y avait pas de retour en arrière possible. Un mélange d'impulsivité et de franchise bien mal opportune. Keira avait-elle abordé le sujet avec des ombres plus proches d'elle que Neide Almeida l'avait été jusqu'alors ? Avec un ami, son frère, un parent ? Ou avait-elle ruminé la question en silence, car celle-ci était honteuse mais aussi inéluctable ? Le 'si' planait comme un linceul qui venait cacher la réalité. On pouvait fermer le cercueil de Bruce d'un grand coup de pied au propre, comme au figuré, mais ce n'était pas au docteur Almeida de déclarer la sentence.

Elle écoute en silence Keira se confier sur les écueils de sa relation avec son petit ami. Les choses ne sont jamais aussi simples que ce que l'on aimerait dépeindre. Même avec des millions de traits et de nuances, il était impossible de poser un diagnostic sur les labyrinthes qui liaient plusieurs êtres : leurs enchevêtrements, leurs passages secrets, leurs conflits sans issues, le ciel qui reposait sur leurs crânes et que l'on regardait parfois en attendant un bon conseil. On ne sortait jamais du labyrinthe et quand même bien même on pensait finalement attraper l'autre à travers les épais feuillages, on ne faisait que basculer sur un énième chemin qui se divisait de nouveau en des bifurcations aveugles et hasardeuses. Neide tousse car elle ne peut pas s'identifier aux paroles de son amie, elle est trop égocentrique pour ménager autant les gens autour d'elle.

C'est que Keira serait bien la première.

Elle ne sait que dire et ne sait pas vraiment si Keira attend son approbation, des paroles encourageantes ou un silence complice.

- Je vois... murmure t-elle après quelques secondes. Quoi que tu fasses, je serai à tes côtés.

Cela n'était pas une demi-vérité comme elle avait habituellement l'art de les proclamer.

Elle déglutit. A ce stade, ce n'est pas qu'elle ne peut plus mentir - elle le pourra toujours, l'art de la dissimulation est dans son ADN, il a rampé entre les cuisses de ses parents pour venir s'immiscer en elle et son frère. C'est juste qu'elle ne veut pas.

- Ok. Ok, répète t-elle, prenant quelques secondes pour mettre de l'ordre dans ses pensées. J'ai du mal à concevoir si c'est important. Peut-être que tu vas t'en foutre ou me détester, j'en sais rien. Tu es la personne avec un don que j'ai le plus fréquentée en plus de... euh... un autre ami. Je me suis basée sur nos... sessions, on va dire comme ça et sur mon ami, ainsi que sur les autres personnes que j'ai pu voir à l'hôpital pour comprendre comme la mutation fonctionne. Enfin. Ca, tu le sais déjà. Que je voulais comprendre. Mais... du coup... je sais pas si c'est correct... tout ça. Puis, merde. Je sais même pas si c'est ça le souci, si c'est que t'es une femme et que j'ai jamais fait ça avant, ou que je sais que je vais tout gâcher à un moment ou un autre, alors voilà, si tu veux tout savoir, c'est plutôt moi qui ait besoin du filet de sauvetage, car je comprends plus rien ! glapit-elle, exténuée par cette confession interminable et inattendue.

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24/03/2020

Les relations sont des engrenages complexes et incompréhensibles. Ca se chevauche, ça s’emboite, à se croise, ça se sépare, ça se reforme, ça s’emmêle si bien qu’on ne sait plus vraiment où regarder, ou dans quel sens l’appréhender. Pendant longtemps, tu as cru que Bruce et toi étiez une exception. Tu pensais qu’il était facile d’être avec lui, il te suffisait de l’écouter, de te laisser guider par sa main puissance autour de ton poignet, tu n’avais t'inquiéter de rien tant qu’il était là. Mais ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. Les choses ne peuvent pas être lisses, douces et faciles constamment. Elles ne peuvent pas aller que dans un sens, toujours le même qui plus est. C’est censé être brouillon, flou, incertain, on tâtonne, on cherche, on se trompe, on répare, on se relève, on trébuche encore mais on ne relève toujours, et finalement, c’est pas grave. ((Parce qu’on est ensemble.))

La confiance ne s’offre pas sur un plateau d’argent. Elle se mérite, récompense d’un périple parfois pénible, on y laisse sueur et sang, parfois même quelques dents. Tu as fait l’erreur de l’offrir à Bruce comme on offre un muffin, pour faire plaisir, pour montrer que tu tiens à lui, par gentillesse. ((Trop bonne, trop)). Tes yeux se perdent dans ceux de Neide. Il y a tellement de chose qu’elle aurait pu faire pour te rayer de sa vie. Mais elle n’en a rien fait. Alors, même si tu tâtonnes, même si tu cherches, même si tu te trompes, tu répares, tu te relèves, tu trébuches de nouveau mais tu te relèves encore, et finalement, c’est pas grave. T’as envie d’y croire.

Les mots de la jeune femme tirent timidement sur la commissure de tes lèvres. « Quoi que tu fasses, je serai à tes côtés. ». Tu bats des cils, mouvement lent, comme si chaque fois que tu la regardais, le temps s’écoulait différemment. Ou peut être est-ce seulement ton coeur qui s’affole, ton esprit qui suit la cadence, ensemble ils dansent à un rythme qui dépasse ta raison. Peut être que tout ça est insensé, une simple mascarade, que d’une minute à l’autre, tu ouvriras les yeux pour te retrouver étalée aux côtés du cadavre de Bruce, dans le froid et la solitude. Et après tout, peu importe. Tu n’as pas envie de jouer les défaitistes ce soir. « Merci. ».

Tu es cruelle, Keira. Toujours à tirer les autres vers la raison, à demi-mots, à demi-yeux, tu te fuis l’affront tout en semant la réflexion. Certains diront que c’est une déformation professionnelle, que tu es juste douée dans ce que tu fais. Mais d’autres pensent réellement que c’est quelque chose dans ton caractère. A savoir. Le fait est que la cible ne rate pas, Neide déballe subitement un flot de pensées, tu te retrouves noyée dans les doutes de la jeune femme. Tes mains rejoignent les siennes, la bouée de sauvetage jetée dans l’océan. « Neide. ». Paumes contre peau, la chaleur revient, tes yeux brillent. « Respire. ».

Tu n’aurais pas cru être la moins anxieuse des deux. Mais tu ne pouvais qu’imaginer toutes les sources de stress auxquelles Neide pouvait être exposée. Un rire bref t’échappe, le timbre chargé de douceur. « Une chose à la fois, d’accord ? ». Tes mains s’écartent, le temps est écoulé. « Tout ce qui te concerne m’importe, je ne vais pas m’en foutre. Ni te détester pour si peu. Mais je peux comprendre que tu ne sois pas forcément à l’aise à l’idée de fréquenter hum … intimement … un sujet d’étude. Tu as peur que ça entrave ton jugement, j’imagine. ». Tu avais cette façon de dire les choses, avec cette petite voix apaisante, comme si les choses coulaient de source. « Tu sais, je n’ai pas eu beaucoup de relations, si ce n’est pas du tout, à part Bruce. Pour moi aussi, tout ... ». Tes doigts s’égarent entre vos silhouettes. « … ça, c’est nouveau. Mais c’est probablement la meilleure chose qui me soit arrivé depuis bien longtemps. ».

Tu pousses un discret soupire. Tu ne pouvais le nier : Embrasser Neide était bien plus plaisant que pleurer jusqu’à l’épuisement au fond de ton lit. « Ce qui est nouveau fait peur. Mais gardes en tête que tu n’es pas toute seule là-dedans. ». Timidement, tu t’approches de nouveau pour déposer un baiser sur sa joue. « Je suis là. ».

09/02/2020

Elle avait l'impression qu'une main glacée fouillait dans sa gorge pour en ressortir toutes les émotions confuses et honteuses qu'elle n'avait jamais osé exprimer : de longs ongles venaient râcler son larynx et en décoller la crasse. Peut-être que les bouleversements avaient été trop nombreux ce soir : pourtant, la soirée avait débuté comme elle devait l'être, banale, un soupir dans l'existence, pas une parenthèse où se révélerait un flot de nouvelles possibilités. Neide Almeida se sentait confuse et avait la bouche sèche : elle aurait souhaité combattre la paralysie qui saisissait ses quilles et vider la bouteille de vin afin de se donner de la contenance. Cela avait été la pierre angulaire de son chemin de vie, de toute façon : trouver une béquille et elle avait toujours farouchement refusé de laisser sa chance à une tierce personne.

Elle songea de nouveau à la silhouette massive alanguie dans un lit aux draps blancs et lisses, car personne n'y gigotait. Qu'est-ce qu'une vie, après tout ? Et surtout, qu'est-ce que sa fin ? La mémoire de Bruce était maintenant dans les mains de ceux et celles qui le décriraient. Neide doutait de la gentillesse du portrait de Keira, mais soit. Quoi qu'il en soit, elle redoutait à présent un réveil imprévu de l'homme. Autant par égoïsme que par pragmatisme : avait-il des souvenirs de la situation qui l'avait mis dans un tel état ? Sans doute Keira se posait également la question, bien qu'elle n'ait probablement pas osé l'exprimer à voix haute. Dans tous les cas, elles pataugeraient dans la même merde, alors autant essuyer les conséquences à deux.

Leurs mains se joignent en un mouvement incertain et Neide sent ses doigts fondre sur le cuir chaud. Elle se rend compte qu'elle préférerait endurer la brûlure que se contenter de ce contact lointain mais elle ravale ses mots avant même que sa langue rose ne jongle avec les syllabes. Elle renifla fort, de façon dégueulasse. Le moment de se confier était déjà passé et Neide Almeida venait d'enfourcher avec conviction le canasson de la confiance en soi.

- On se comprend entre docteurs, j'imagine, ironisa t-elle en tentant d'oublier toutes les fois où ses potes de psychiatrie et elle avaient mimé les étudiants en psycho avant de ricaner car ce n'était pas de la vraie science, si ? Après que veux-tu. Cela ajoutera du risque au protocole d'expérimentation.

Physique comme émotionnel.

Des relations amoureuses elle ne pouvait dire grand-chose. Derrière ses brillantes études de médecine ne subsistait qu'une jeune femme froide et instable, dont l'attention n'était retenue par ses congénères mâles uniquement pour s'envoyer en l'air et encore, il fallait que le spécimen ait de sacrés arguments. Peut-être qu'elle avait une trop haute opinion d'elle-même, peut-être qu'elle ne souhaitait pas s'engager, les paris étaient ouverts.

Keira lui caressa la joue, Neide se saisit de ses doigts et elles restent en suspend, mirettes sombres à l'aube du basculement tentateur dans les abysses de l'autre.

- Il se fait tard, finit-elle par répondre. Je crois que j'ai besoin d'y réfléchir... Je ne dis ni fais jamais les bonnes choses dans le feu de l'action. Elle espérait ne pas froisser Keira par cette révérence finale. Ton dessert était très bon. Dommage que j'en aie mis partout... même si maintenant je ne regrette qu'à moitié, susurre t-elle en achevant sa taquinerie avec un clin d'œil carnassier.

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24/03/2020

Les petites filles rêvent de mariages. Elles jouent à la poupée en les prenant pour leurs bébés, elles s’imaginent parader dans les rues avec leurs poussettes, les petites mains qui attrapent du bout des doigts des morceaux de tissus pour border les peluches. Elles font des bouquets de tout ce qu’elles trouvent, nouent un drap blanc autour de leurs tailles et redressent le menton pour donner l’illusion que c’est le plus beau jour de leurs vies. Tu t’en souviens encore, de tes rêves d’enfants. De toi, dans le grenier, les après-midis de silence, où tu t’admirais dans un morceau de miroir, le casque d’astronaute d’Ezra sous ton haut pour donner l’illusion d’une grossesse. Toi, au fond de ta chambre, ta voix qui retraçait les lignes de tes livres, ton ourson en peluche sur les genoux pour seul spectateur. Toi, encore récemment, longeant les allées commerçantes, les doigts qui capturent les vêtements miniatures aux couleurs pastels.

Le mariage. La maison. Les enfants. Les projets que tu avais préparé pendant tes trente ans d’existence. Une stabilité que tu avais cherché à atteindre à tout prix, peu importe le nombre d’obstacles que tu pouvais rencontrer, c’était devenu une obsession qui t’avait longtemps enfermé dans cette idéalisation constante. Idéalisation de Bruce, de la vie de couple, du mariage et tout ce qui en résulte. Mais la vie n’est pas aussi simple que jouer aux poupées dans le grenier. Et plus tu y penses, plus tu y réfléchis, plus la possibilité que ce souhait ne soit motivé que par ta peur d’hériter de la lâcheté et de l’inconstance de ta mère devient une piste réelle. Le temps fait que tu y penses de plus en plus. Et si un jour tu parvenais à réaliser tous ces rêves d’enfants, pour finir par fuir sous la pression comme elle l’a fait ? ((Comment veux-tu vivre, Keira ?))

Tes doigts se mêlent aux siens, un peu rêveusement, sans vraiment faire attention, le tissu séparant de nouveau vos paumes. Sa remarque retrousse tes lèvres en un fin sourire, tes yeux se perdent un instant dans le vide. Tu ne t’étais jamais considéré comme docteur, bien que tu en avais le titre. Quelque part, tu savais également qu’aux yeux des personnes du même statut que Neide, tu n’étais pas à prendre au sérieux. Mais peu importe, ce n’est pas le débat du jour.

« Il se fait tard. ». La voix de Neide ronge ton coeur encore gros. Tu aurais voulu qu’elle reste. Tu aurais voulu échanger le même baiser, encore, et encore, jusqu’à perdre ton souffle. Tu aurais voulu atteindre les étoiles et faire fondre ta peau, corps contre corps. C’est rare, ces moments de caprices où tu veux simplement que les gens se plient sous ta volonté. C’est rare, c’est fugace, et ça disparait aussitôt. « Oui. ». Neide étale ses explications, tu es pendue à ses lèvres mais le moment t’a déjà échappé. ((Il se fait tard.))

Elle te taquine, tu baisses les yeux en rougissant, vos pas s'emboîtent maladroitement jusqu’à la porte, des morceaux de conversations planent dans l’air pour mourir dans le silence qu’a laissé votre passion débordante. « Je ne regrette rien. ». Tes paroles s’articulent en murmures, tu la regardes encore. « Et j’espère que l’on pourra recommencer ... ». Tes joues s’inondent de rouge, tu te rends compte de l’indécence de tes propos. « … Un dîner, je veux dire. Enfin … le reste aussi ... ». Et finalement, elle s’échappe, l’Impératrice qui a capturé ton coeur. Et tu en viens presque à regretter qu’elle n’emprisonne pas non plus ton corps avec.

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