boss bitches // keira

Six fils, six garnements et pourtant, tu as quand même trouvé le temps et la place dans ton cœur pour adopter d'autres enfants. Des filles, cette fois. Dont Keira. Tu pourrais presque dire que tu étais la a sa naissance. Sa mère était une bonne amie à toi. Keira , c'était une petite fille terriblement en manque d'amour maternel. Et tu étais là, quand il fallait lui apprendre des choses. Tu étais là, pour ses premières règles, là pour lui expliquer quoi faire.
Tu as déjà perdu des enfants, deux. Deux fils qui ont quitté la maison, peut-être par ta faute (tu refuses d'y croire) ; alors quand tu as appris, bien après, que Keira était à l'hôpital, tu as juré, un peu trop fort. Ton mari s'est retourné vers toi avec un sourcil haussé.
Depuis le départ de Seth tu la sent plus froide, mais tu t'es dit que c'était simplement la tristesse, qu'elle gérait ça autrement. Toi, tu as beaucoup pleuré ; mais avec une famille à nourrir, des fils à élever, tu as rapidement été obligé de sécher tes larmes et de retourner bosser.

Tu as ta journée, aujourd'hui, alors tu vas aller la voir et vérifier que tout va bien. Tu ne sais même pas ce qu'il s'est passé, ce qui lui est arrivé. Tu savais, pour son fiancé (bien sur que tu savais !!) et tu espérais de tout ton coeur qu’elle ne soit pas aussi dans le coma, parce que cela briserait ton vieux coeur et que tu ne vas pas le supporter. Deux enfants, mais pas trois.
Le menton levé, la démarche déterminée, tu ne renvois pas les regards qu’on te lance parce que tu n’as pas le temps et que tu n’as qu’un seul objectif aujourd’hui ; celui de voir ta fille. Tu démonteras des têtes une prochaine fois (non, tes fils ne tenaient pas du tout leur caractère de toi, tu es parfaitement calme).
Tu attends, surement un peu trop longtemps, que la secrétaire médicale te donne le numéro de la chambre de ta fille, parce qu’elle n’a pas vraiment l’air de comprendre pourquoi tu n’es pas notée dans la famille. Tu lèves les yeux au ciel en tapant légèrement du pied et ça fonctionne.
Tu prends le temps de frapper à la porte mais tu n’attends pas la réponse de Keira avant de rentrer, tu ne connais pas le principe d'intimité. “Bonjour Keira.” tu lui offres un léger sourire malgré l’air glacial que tu ressens à peine. Et tu commences, véritable maman, à remettre correctement ses coussins, regarder d’un oeil curieux les machines de la chambre. Tu n’aimes pas ça du tout. “Et tu ne m'appelles même pas ?” tu secoues la tête. “C’est les voisins qui m’ont prévenu ! God bless them.” parce que c’est une grande ville mais une petite communauté. Tu t’installes sur la chaise à côté du lit en posant ton sac sur tes genoux. “Il s’est passé quoi, darling ?”

Trop d’informations. Tes pouvoirs. Le coma de Bruce. La cavale de Seth. Les avertissements de Neide. La cohabitation avec Adore. La frustration d’Ezra. La panique du 4 juillet. Le cadavre de cet homme gisant par terre. Les sirènes d’ambulance. L’étrange rencontre avec cette jeune femme qui prétend être ta demi-soeur. Tout ceci te semble si irréel. Si loin de ta petite vie tranquille régie par ta dévotion envers ton petit-ami et ton mécanisme de faux-semblants. Même si ton quotidien était tâché d’imperfections que tu avais longtemps décidé d’ignorer, il te manquait. Les bons moments te manquaient. L’insouciance, le rêve d’un avenir confortable, d’un grand jardin et des petites chaussures d’enfant jetées maladroitement dans le vestibule, cette vision que tu pensais toucher du bout des doigts. Mais il t’échappe, ce rêve, il fond entre tes phalanges ardentes et tu ne peux rien y faire. ((Rien ne sera plus comme avant.))

Tu sais que les choses ont changé. Tu sais qu’au fond, toi aussi, tu es en train de changer. Mais tu t’entêtes, tu enfermes tout à l’intérieur, tu piétines, tu tasses, tout pour que ça rentre dans ce coffre fort qui articule ton coeur. Bruce l’infidèle qui t’a probablement demandé en mariage pour sauver les apparences. Un cadenas. Teresa qui chasse son propre fils alors qu’il a besoin d’aide. Cadenas. Seth qui a fui sans prendre le temps de te contacter alors que tu aurais pu lui venir en aide. Un cadenas. Les mensonges de Lily qui ne cesse de te rejeter, encore et encore. Cadenas. Ezra qui semble s’éloigner de plus en plus de toi. Cadenas. Nicole qui déboule dans ta vie tel un ouragan. Cadenas. Cadenas. Cadenas.

L’ouragan Teresa balaie ta porte et diffuse son parfum renversant dans l’intégralité de la pièce. ((Cadenas, Cadenas.)). Forte, sauvage, elle s’est toujours imposée comme un modèle d’indépendance et d’assurance. Toujours le menton relevé, le dos droit, tu ne l’avais jamais vu reculé face aux problèmes. ((Sauf un.)). Le goût amer du départ de Seth te gratte la gorge, tu esquisse un fin sourire, quoique légèrement terne. « Bonjour Teresa. Je ne m’attendais pas à te voir ici. ». Le ton dramatique de ta mère de coeur résonne dans la chambre, ton buste se tord alors qu’elle tente de rebomber ton coussin. « Eh bien, je- ». Elle prends ses aises, son inquiétude pétille dans ses yeux iris. Tu pousses un soupir alors que son regard te perce le torse. « Ce n’est pas si grave, tu sais ? Je ne voulais pas t’inquiéter. ». Tu maudissais la langue pendue de ton frère qui avait probablement alerté tout le quartier. « Je me trouvais juste au mauvais endroit au mauvais moment. Ce n’est qu’une petite plaie plaie à la cuisse, le couteau n’a pas touché de nerfs, l’opération s’est bien passée, je devrais bientôt sortir. Plus de peur que de mal. ». Il fallait rester positive après tout. ((C’est tout ce qu’il te restait.))