Taking back the crown || ft keira

C'est le grand soir et t'es full prepared. LA compétition que vous attendiez toutes et pour laquelle t'as claqué une thune irraisonnable dans une nouvelle tenue incroyable, affriolante, sublime que dis-je flamboyante ! Si tu ne finis pas au minimum sur le podium avec ça, tu raccroches c'est fini niet Lady Vanessa ne mettra plus jamais un pied dans ce taudis si cher à son coeur qu'est The Saloon. Oui bon tu les adore, le serveur est un amour, le public est fidèle à l'endroit mais tu n'as pas encore décroché ne serait-ce qu'une médaille dans ce bar et ça, ça n'est pas normal. Lady Vanessa est une princesse et on la traite comme une paysanne. Tututut. L'histoire c'est toi qui va l'écrire, en lettres dorées comme les multiples bijoux dont tu t'es parée. Tu as sorti tes meilleures boucles d'oreilles, bracelets et colliers. Lizzie t'as fait la morale d'ailleurs, soit disant que l'or ne va pas avec ton sous-teint. T'as répliqué que tu visais pas à être raccord avec ta carnation mais à être prête pour ton couronnement. T'as bien pris soin de vérifier à l'avance : la couronne ira parfaitement avec le reste de ta présentation car tout est calculé.
Devant le miroir tu remets une dernière couche de rouge à lèvres, apprécie le jeu de couleurs autour de tes yeux (un vert printanier débordant des paupières suivi d'un jaune flashy des coins extérieurs de tes yeux jusqu'au début de tes joues). Les lumières de ta coiffeuse s'accrochent aux larges perles multicolores de ta robe, qui forment d'élégants motifs floraux sur tes épaules.

Quoiqu'il arrive ce soir tu ne regretteras rien, à un moment s'ils ne voient pas ton talent c'est qu'ils ont de la merde dans les yeux.
Et sur ces bonnes paroles tu t'avances vers la porte pour vérifier dans la salle si Keira n'est pas arrivée... Hum non trop risqué. Si tu sors comme ça maintenant ça va ruiner ton effet. Hop le joli manteau en fourrure et c'est reparti dans la salle principale.

Il commence à y avoir du monde. Tu cherches la brune des yeux mais croise d'autres têtes au passage, que tu salues toutes chaleureusement. Oui c'est une nouvelle perruque (non c'est pas du tout une nouvelle perruque t'as juste échangé avec Baby mais tant mieux si tout le monde n'y voit que du feu). La semaine a été barbante (avec les yeux au ciel) ne m'en parle plus jamais darling. Tu revois des habitués, des personnes qui n'étaient pas venues la semaine passée. En bonne lady tu n'oublies personne, tu prends le temps pour chacun. Et bien sûr tu réserves tes meilleurs insultes pour tes plus proches amies. Tu finis par sortir du tourbillon, la miss Keira est forcément arrivée maintenant. Tu as hâte de voir sa tête de petite prude, tu es prête à mettre toutes tes extrémités à couper qu'elle n'a jamais mis les pieds dans un bar gay, encore moins pour un drag show ! Vraiment tu espères capter ses meilleures expressions avec ton polaroid et avoir de quoi la taquiner pour les années de confinement à venir. Enfin pas trop non plus, c'est elle qui a ton 45 tour Under Pressure, l'improbable collaboration de Queen et David Bowie, eux qui n'avaient jamais collaborer avec quiconque auparavant.

Tu aperçois ton invitée de dos et passe ton appareil (non pas celui-là) à une Ricky en parfaite Whitney Houston. "Je compte sur toi pour immortaliser sa tête". Elle a intérêt à tout donner Keira, pas de gaspillage de pellicule in this house. Tu t'élances vers elle for the big reveal, Lady Vanessa à l'antenne dans 3, 2, 1...

Le vinyle tourne en boucle, la musique cogne sur les murs de ta chambre. La silhouette étalée sur le matelas, la voix de Freddie vibre entre tes oreilles. Les chœurs commencent en douceur, la piano chatouille tes tympans et la cadence s’accélère d’un coup. Un bon et te voilà à gesticuler dans ta pièce. « Don’t. Stop. Meee NOW ! ». Des mouvements aléatoires et maladroits, tu n’arrivais pas à aligner un pied à côté de l’autre, c’était chaotique, brouillon et si tu avais un public, il te jetterai probablement quelques tomates à la figure. Mais tu en profites, tant que ça dure, tant que tes pensées parasites qui nourrissent tes insomnies sont encore endormies.

La mélodie s’est propagée dans tout l’appartement, ta voix rejoint maladroitement l'écho des paroles qui papillonne dans la salle de bain alors que l’eau chaude coule le long de ton corps. Ça va, ça vient, les portes sont toutes ouvertes, le soleil transperce le salon jusqu’au couloir, tes pieds ont laissé des traces humides sur le plancher. La date d’aujourd’hui sur le calendrier mural est entourée de rouge. Tu grimaces. Tu avais promis, après tout, tu ne pouvais pas annuler. Mais, il y aura probablement beaucoup de monde, peut être que Samuel ne te remarquera pas ? Mieux encore, peut-être qu’il ne remarquera pas ton absence ? Et si tu te faisais draguer par des loubards, à cette soirée ? Allons, Keira, ce n’était pas ce genre de bar. Tout le monde le savait. Mais comment on s’habille pour ce genre d’occasion ? Tes tailleurs du cabinet n’iraient définitivement pas. Peut être ce chemisier ? Il serait parfait ! Si tu avais 87 ans. Peut être cette jupe ? Qui avait foutu une jupe aussi courte dans ton dressing ? Tout le monde verrait tes cuisses, avec ça. C’était indécent. ((T’es tellement coincée, Keira.))

Tes mains gantées tirent sur ton manteau, cache ta tenue scandaleuse enfilée pour l’inédit de la situation. Les couleurs pètent, les paillettes t’aveuglent, tu te perds dans cette foule excentrique, toi qui parait bien fade avec ta jupe en cuir et ton top à bretelles bien dissimulés sous ta longue veste. Petite fantaisie rouge étalée sur les lèvres, tu sens ton coeur s’agiter, l’angoisse fait trembler tes frêles épaules. Une demoiselle à la mâchoire particulièrement carrée t’aborde, tu te rends compte bien vite par sa voix rauque que tu as peut être mal jaugé cette personne. « Bonsoir, Beauté ! On a pas l’air de venir souvent par ici ! ». « Qu-Hein-N-N-Non, je-euh-je-c’est ma première fois ici-enfin-je viens voir-euh-L-Lady-euh-Je-Excusez-moi. ». Ta voix a dérapé, tes mains ont parasité l’air et tu t’es enfuie de la conversation tel une voleuse après son méfait. Tellement de charisme, tellement de lumière, ça te donnait envie de t’enfoncer entre tes deux épaules pour ne plus être aveuglé par ces auras enchanteresses. Et soudain, une main autour de tes épaules, tu sursautes, un hoquet de surprise t’échappe, tes yeux s’ouvrent comme des soucoupes, le rouge dévore tes joues. « S-Sam ! Tu es-Tu es-Tu es radieux ! ». Un sourire incrédule déforme ton visage, tu détailles chaque couleur peinte sur son visage. Le flash de l’appareil fait briller tes iris, tu agrippes à la manche de ton ami. « Oh-euh, peut être devrais-je dire radieusE ? L-Lady Vanessa, c’est bien ça ? ». Un nouveau monde ouvre ses portes devant toi, Keira.

Tu fais mine de rougir devant les compliments de Keira, accentués par son expression ahurie. "Oh darling il fallait pas !" avec un accent exagérément british et le geste de la main qui se plie comme pour dire ouste à ses éloges. Bien sûr que si il le fallait, tout autre réaction n'impliquant pas un minimum de flatterie était complètement prohibée. Cependant tu es aux anges de ne pas avoir du la forcer : ça semblait vraiment venir du coeur et ça a fait fondre le tien un petit peu. "Et oui c'est ta première rencontre avec la fantasque Lady Vanessa, la splendide, l'inoubliable..." Tu baisses d'un ton après avoir monté crescendo jusqu'à un volume un tantinet trop théâtral pour le voisinage et c'est en chuchotant à l'oreille de la brune que tu finis ta tirade  : "...celle qui va tout rafler ce soir et reprendre SA couronne parce qu'elle le vaut bien !" Tu te redresses l'air de rien, adressant un sourire poli aux autres contestantes qui te jettent des regards en coin. "Mais oui c'est radieuse au féminin" tu lui souffles avec un petit clin d'oeil. "Et je dois dire que tu n'es pas mal non plus... serait-ce du cuir ?" Tu demandes, l'air mi-choquée mi-amusée. Si on t'avait dit ce matin que tu verrais Keira Logan en jupe en cuir et le rouge aux lèvres ! "Ca te va à ravir !" reprends-tu avec cet accent britannique qui représente pour toi le summum de l'élégance. Tout le monde a déjà pensé à une imitation de la Reine Elizabeth II mais toi c'est Lady Di qui te fait le plus vibrer. Une classe internationale et pourtant si éloignée des rigides protocoles de Windsor... Le charme au naturel, quoi qu'on en dise.

Whitney débarque avec le précieux tirage qu'elle agite vigoureusement pour le faire sécher. Tu lui colles un smack sonore sur la joue et la remercie mille fois avant de te tourner vers le sujet principal de la photographie, un sourire mutin aux lèvres. Tu lui présentes le petit carré, révélant ce que le polaroid a capturé. Plus que satisfaite du résultat tu t'exclames en riant : "Je jure de la garder dans ma chambre jusqu'à ma mort !" Tu resterais bien papoter davantage mais on te tapote déjà l'épaule, te suggérant de bouger tes petites miches si tu veux être à l'heure pour le spectacle. Tu râles. "J'arrive j'arrive" et à ton invitée "Je t'ai réservée une place !" Tu vous fais un chemin à travers la foule jusqu'à une table au deuxième rang, légèrement sur le côté. Tu écartes les gens qui commençaient à s'y installer en brandissant (probablement trop proche de leurs yeux) la petite pancarte que tu avais pris le temps d'installer. "R-é-s-e-r-vé, en anglais ça veut dire nous ici vous là bas, merci au revoir" tu finis dans un français parfait. Et tu assis ainsi la petite brune gênée. "J'ai tout prévu t'as même pas besoin de culpabiliser : c'était marqué en toutes lettres !" et en effet sous le porte-carte du bar tu avais pris soin de glisser une note à larges écritures "La place de Keira ". "Ca te va comme endroit ? Hum je pense que je pourrais te trouver une place encore plus prêt... " Le premier rang est jalousement gardé par des plus hauts placées que toi mais tout est négociable si l'on sait marchander.

Samuel et son grand sourire. Samuel et son élégance. Samuel et sa touche de folie. Samuel faisait partie de ce monde secret que tu te gardais bien de dévoiler à Bruce, comme une part de mystère que tu tenais absolument à préserver. Le son mélodieux de la guitare, les voix qui défient les octaves, les vinyles et cassettes qui s’empilent, et le tout qui s’harmonisent autour d’un déhanché maladroit. Les gens te voyaient comme cette jeune pousse, frêle, délicate, reflets pastel et nuage de lait dans le café. Quelque chose de doux, quelque chose qu’on veut protéger, un son délicat de violon, quelques touches de piano. Quand bien même tu collais en grande partie à cette description mielleuse, les tonalités qui caressent tes oreilles ne ressemblaient en rien à l'orchestre classique qui concordait avec ton profil sage. Tu te complaisais dans les élans de chant rauque, paroles dramatiques et touchantes qui multipliaient les battements de ton petit coeur chétif. Samuel avait fait sa place dans ton univers secret, personnalité colorée et décalée qui contrastait avec ta timidité naturelle. Mais, sans qu’aucun de vous ne comprenne réellement comment, ça fonctionnait bien.

Tu le regardes, resplendissant dans sa gestuelle, son aura pétillante fait naître des étincelles dans tes yeux. Tes mains gantées applaudissent discrètement l’aplomb de Lady Vanessa, tu ajoutes plus bas, comme un secret que vous partagez. « Cela ne fait aucun doute ! ». L’accent prononcé t’arrache un sourire -Les tonalités étrangères, ta faiblesse- et le compliment qui suit colore tes joues un peu plus. « O-Oh, ça ? Euh-C’est un vieux truc, j’ai essayé de faire un effort pour toi, tu voies ? Haha. ». Tu t’essaies à l’assurance, non sans perdre l’équilibre en route. La photographie se glisse finalement entre tes doigts, t’arrache un hoquet d’extase. « Cette photo est magnifique ! Tu pourras m’en faire une copie, s’il te plait ? ». Tes yeux de biches s’illuminent devant cette dynamique étrange mais adorable. ((Tu te reconnais ?))

Mais la contemplation est de courte durée et tu te laisses porter par la tempête Samuel. Alors qu’il se débarrasse de ce qui semble être un jeune couple, tu ne peux t’empêcher de leur adresser un sourire embarrassé, la mine navrée. Le retour des langues étrangères te pince la joue -le français, la langue des amoureux- et ton sourires dévore presque le reste de ton visage. « Mille mercis, Lady Vanessa ! Tout est parfait, retourne te préparer. Tu ne peux pas faire attendre tes fans, n’est-ce pas ? ». Eh puis, tu devais l’admettre, tu étais très curieuse de voir ce que te réservait la suite.