Let's talk about Love. (ft. Izzie)

[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

Étincelle fugace et imaginaire, elle colore l’étendu terne de ton plafond dans une danse aléatoire. Un fil conducteur que tu ne comprends pas, il retrace les images qui flottent dans ton esprit encore endormi. ((Ses longs cils.)). Tes doigts nus qui glissent sur le matelas froid. ((Ses épaule délicates.)). Tes talons qui s’enfoncent sous les draps. ((Ses pupilles transperçantes.)). Tes vêtements qui se froissent. ((Ses lèvres charnues.)). Les battements de ton coeur. ((Debout, Keira.)).

Tu te réveilles en sursaut, le rouge au joue, la sueur qui a collé quelques cheveux à ton front, ton souffle s’envole, s’évapore bruyamment dans la pièce. Qu’est-ce qu’il vient de se passer, là, Keira ? Tu t’extirpes de ton lit en titubant, les mèches folles qui se dressent en épi vers le ciel, le regard encore perdu dans te fantasmes oniriques, tu traînes ta silhouette menue jusqu’à la salle de bain avant de t’y enfermer à double tour.

((Tu as chaud.)). Le robinet de la douche grince, la pression violente de l’eau fait couiner les canaux, la pluie glacée semble se transformer en vapeur au contact de ta peau, comme si ton épiderme était faite de roche volcanique. ((Tellement chaud.)). C’était si rare pour toi de faire ce genre de rêve que tu en étais toute retournée. Depuis votre baiser, et quand bien même elle avait mis un point d’honneur sur le fait qu’elle avait besoin de réfléchir à la nature de votre relation, Neide apparaissait de plus en plus souvent dans tes rêves. ((La honte.))

C’est la chevelure encore humide et le col de ta chemise tordu que tu te retrouve, café entre les doigts, à parcourir le journal d’un regard absent. Les mots des articles s’emmêlent entre eux, finissent par mourir sous le poids trop important de tes propres pensées. L’odeur de ton breuvage s’est suffisamment dispersée dans l’air pour que tu n’y fasses plus vraiment attention, tes gorgées sont de plus en plus espacées, de plus en plus tièdes. Et finalement, dans une sorte de spontanéité candide, ta voix a percé le silence. « Dis-moi, Izzie. ». Le mug au bout des lèvres, tes paroles sont pourtant énoncés sur un ton clair, presque trop innocent. « Tu as déjà couché avec une femme ? ». On t’a connu plus subtile, Keira.

La guerre entre les gens du matin et les gens pas du matin sera toujours la plus criminelle. Cependant en emménageant avec Keira, Izzie avait développé une sorte de cordialité qui effaçait son pouvoir de bête menaçante au réveil. C’est vrai que même si la jovialité de sa colocataire pouvait lui donner des maux de tête dès l’aube, elle l’avait aussi comme brossée dans le sens du poil et sans arrière pensée aucune, l’avait éduquée à aimer se lever. Plus ou moins.



Keira était une bonne amie, une personne de confiance ou du moins une devant laquelle le passif d’Izzie passait inaperçu.
Et peut-être qu’avec cette barrière levée entre elles il y avait eu comme un laisser-passer, qui les laissaient se traîner dans le confort de l’autre. Maintenant, avant de décoller pour l’hôpital, King se déposait silencieusement sur sa chaise comme un oiseau silencieux devant sa ribambelle de voisins. chanteurs. Si ses yeux entourés de gris par manque de sommeil battaient lentement, luttant pour rester ouverts, on peut dire qu’elle était de bonne humeur…

Et très franchement c’est dans ce théâtre particulier que débarqua notre belle madame pieds dans le plat, Keira.


Izzie l’ours en hibernation lève deux grands yeux sur son interlocutrice. « Quoi? » Ils redescendent sur son thé trop infusé, elle serre les doigts contre la tasse, elle se prend d’un petit rire qui est embrumé, mais elle est convaincue d’avoir bien entendu, cette phrase, posée là sur la nappe de la salle à manger, cet amour qui transcende les foules, en interdit qu’elle n’a plus mit à la lumière jusque… récemment…

Ça y est, Izzie est revenue au stade adolescente torturée, elle gigote sur sa chaise et tente de jouer à la plus maligne comme si elle se trouvait bien en face de Madame King, sa permanente soignée, son costume repassé, blanc nacre, son affection fugace balayée par une question de vie ou de mort….

Tout va bien, Izzie, la vie d’adulte est façonnée sur un tissu de mensonges et d’adaptations. De son franc parler, elle lâche « …Pourquoi, Keira, dis, tu as quelque chose à me dire? » Sourire en train de grandir sur les joues, Izzie noie sa figure dans la boisson chaude de sept heures quelque chose, elle se sort Nicole du crâne dans le même temps.

Keira, elle est si gentille. Keira, elle est si discrète. Keira, elle est si timide. Il y a dans ce que les autres racontent beaucoup de choses vraies, tu ne peux le nier. Mais la vérité peut prendre une toute autre forme lorsque tous les éléments sont à portée de mains. Seuls tes proches te connaissent têtue, impossible de te retirer une idée de la tête, en particulier quand ça concerne la protection des autres. Seuls tes proches te connaissent maladroite, pas de la même façon que les angoisses sociales qui transparaissent à tes premières rencontres, mais d’une manière attachante, comme une enfant qui apprends encore à faire du vélo. Tu n’es pas différente des humains ordinaires, une palette déployée de caractéristiques, des cases qui s’emboitent, s’emmêlent. ((Imprévisible.))

Izzie, c’était ce courant d’air frais dont tu avais besoin dans ton quotidien morose. Depuis l’hospitalisation de Bruce, tu avais broyé du noir, tu avais pleurer dans tous les endroits possibles et imaginables, tu t’étais rendue coupable, à tord ou à juste titre, de tous les malheurs du monde. Mais Izzie, avec son brin de folie, avec sa malice au bout des lèvres et ses paupières tombantes, elle t’a bousculé pour faire danser tes petits pieds timides. Vues de l’extérieur, vous ne semblez pas faire la paire et pourtant, tu peux le dire, tu es contente de vivre avec elle. Et voilà que c’est toi, qui la déconcerte, avec tes interrogations farfelues. Il fallait croire que ton évolution récente n’avait pas touché que tes mèches coupées courtes.

D’un coup, ça bégaie, ça rougit. ((Chasser le naturel, il revient au galop.)). « Eh bien-Euh-C-C’est … ». Tu t’es peut être un peu trop précipité, voilà que tu sais plus trop quoi dire, tu sais pas comment l’expliquer. ((Ça te travaille encore.)). « Comment dire ... ». Tu cherches tes mots, multiplie les gestes parasites, tes gants qui couinent, bien serrés contre tes doigts. « Hum. ». Aller Keira, tu peux le faire. « Tu te souviens, l’autre soir, quand je t’ai dit que je recevais quelqu’un pour un dîner ? ». Ton coeur s’affole déjà. « Je t’ai dit que j’invitais une amie. ». Autant la qualifier de la sorte, bien que tu ne saches pas vraiment si cette étiquette lui correspond. « Eh bien … Disons que … Hum, on … on s’est embrassé et … comment dire … Je me posais juste la question de … comment-hum-tu voies ? ». Et voilà. ((T’es toute rouge.))

Izzie est subjuguée, l'honnêteté n'a jamais été plus brave, dans leur torpille enclenchée depuis un moment déjà, Keira ose exister entre coton et jolies tournures de phrases embarrassées. Dans son chaos tout à l'aise. Izzie n'est pas très romance, d'ailleurs si elle y mettait les pieds elle se retournerait le cerveau a tenter d'y accomplir quoique ce soit, ça n'est pas son truc. Si elle ne drague pas comment parler de draps froissés et longs regards languissants, ce serait vraiment un miracle. Elle est amusée; si Keira la voit ainsi peut-être que l'espoir n'est pas mort, elle rigole, ça n'est pas pour la juger, sa colocataire, c'est sans doute pour échapper à une partie de la conversation.

Et puis ça ne l'arrange pas, Izzie, elle a regardé de haut en bas Nicole et depuis il y a comme un secret qui tangue entre ses eaux complètement instables. Izzie ferme les yeux dessus car une femme avec une femme; c'est déjanté.
Oui il n'y a que Keira pour se contorsionner dans une telle fantaisie sans aucun risque, c'est tout naturel, elle a cette fibre au plus profond d'elle même qui échappe totalement au reste de la société et c'est admirable, c'est magnifique, fantastique, tous les mots ne suffiraient pas. "Tu sais dans les salles de garde c'est pas exactement ce que tu crois qu'il se passe qui se passe."

Elle hausse un sourcil. "Et puis tu parles comme si... j'en savais quelque chose." Voilà un long retour sur une scène de son adolescence, la main toute chaude de son amie d'enfance, leurs yeux entrelacés, quelques secondes de battements en plus qu'Izzie balaye froidement. Pour elle, seulement, elle ne compte pas faire faux bond à celle qui partage sa vie (oui, on peut le dire). "...Si ça peut te rassurer ça m'a l'air plus simple qu'avec un homme, tu vois? Tu auras clairement pas de souci niveau démarrage de l'engin." Elle penche la tête en arrière, presque hilare. "C'est une femme, Keira, elle saura te recevoir autant que tu sauras l'accueillir. Paie-lui un verre pour desserrer la ceinture et puis ne porte pas trop de vêtements non plus, ça te sera pas très utile pour le coup."

La paume d'Izzie se mouvoie docilement, avec innocence sur la table.

Pendant longtemps, les livres avaient été les seuls sauveurs de tes interrogations isolées. Refuge infaillible dans lequel tu pouvais te perdre des heures, plus parlant que le fantôme de ta mère toujours en vie, plus vivant que le corps affaiblie de ton père échoué au fond de son lit. Il y avait bien eut Theresa pour combler les bases d’une vie de jeune fille. Mais tu savais très bien que jamais tu n’aurais pu aborder ce sujet avec elle. Car c’était contre la volonté de Dieu, c’était anormal, c’était pas une chose dont on parlait, une chose qu’on expliquait. C’était mal. ((L’était-ce réellement ?))

Le sexe, c’est quelque chose qui t’avait longtemps effrayé. Un interdit que les jeunes filles voulaient toutes secrètement goûté, un interdit qui avec le temps, devint l’objet des fantaisies féminines, comme un bijou qui sublimait l’annulaire d’une main. Ils en parlent dans les livres, sous toutes les coutures, si bien que tu avais imaginé ta première fois comme un moment magique, un moment réservé à une version future de toi, celle qui sera heureuse dans son mariage, celle qui voudra goûter à cette curieuse façon de consolider une union, une famille. Mais les livres n’ont pas toujours la réponse à tout, ce n’est pas Colette qui aurait pu te prévenir des conséquences désastreuses de tes chaleurs trop intenses.

Depuis Bruce, tu t'interroges. Arriverais-tu à retenter l’expérience sans risquer de cramer tes partenaires futurs ? Arriverais-tu à contrôler tes excès de tendresse pour ne pas les transformer en maux irréversibles ? Tu ne voulais pas infliger ce sort à Neide. Et quelque part, tu sentais bien que ce n’était pas pareil. Tu sentais que même si tu en avais envie, tu serais incapable de la blesser. ((Parce que ce n’est pas pareil.))

La réponse d’Izzie impose un temps d’arrêt à ton cerveau. Tu te mets instantanément à bégayer, tu cherches tes mots en te perdant dans des gestes parasites. « Qu-Non-C’est pas euh … J’insinuais rien du tout, vraiment, je-euh-c’est juste que tu as l’air si cool et-euh-je-je pensais juste que tu en saurais peut être plus que moi, voilà tout. ». Tu caches les rougeurs de tes joues derrières tes paumes fragiles, un soupire timide t’échappe. « C’est juste que, ma … première fois, je l’ai eu avec Bruce et disons que ça s’est mal passé donc … J’ai peur. ». Pauvre Keira. ((Si seulement c’était le seul de tes soucis.))